Le cadre de la cure:demende,transfert et contrat avec les parents et pour leur enfant
Après un bref historique de ce que furent à l’origine la demande d’analyse d’enfant, le contrat passé avec ses parents, la place et la fonction qu’y prenait le transfert dans la direction de la cure élaborée par l’analyste, nous aborderons le problème que posent Factuelle nature de la demande et ses effets, sur la négociation du contrat analytique avec les parents et leur enfant; après quoi nous définirons précisément demande et non-demande, pour montrer le caractère inévitablement conflictuel de leur rapport; originaire au fond de toute prise en charge, ce conflit mènera à envisager ce qu’il en est du maître de la jouissance lors d’une analyse d’enfant, ce qu’il en est de la fondamentale question de l’anticipation symbolique Inrs qu’est décidée une cure avec un enfant, ce qu’il en est de la demande de transfert, étalinguée du transfert de la demande et, pour conclure, ce qu’est le transfert sur la i ure même de l’enfant.
HISTORIQUE
Freud
Si le psychanalyste parvient, grâce à sa pratique avec l’adulte, à se formuler des hypothèses sur la sexualité infantile, il peut désirer entendre plus directement chez l’enfant, et avant qu’elles ne soient complètement refoulées, les formations qu’édifient précocement les désirs non encore totalement inconscients. Ce fut pour cette raison que Freud créa la psychanalyse de l’enfant, et ce fut donc de lui qu’à l’origine en émana la demande : «c’est dans ce but que, depuis des années, j’incite mes élèves et mes amis à recueillir des observations sur la vie sexuelle des enfants (…) Parmi le matériel qui,par suite de ces requêtes, vint entre mes mains, les rapports que je recevais, à intervalles réguliers, sur le petit Hans, acquirent bientôt une place prépondérante» . Incitation, requête : à la demande de Freud, répondit donc celle des parents de l’enfant, au bénéfice de qui se noua d’autant plus aisément un contrat analytique, que son analyste, à la plus grande satisfaction du Maître, fut rien de moins que son père.
Demande, contrat et transfert semblèrent en l’occurrence idéalement se conjoindre, Freud pensant alors qu’aucune autre personne que son père pouvait plus légitimement entreprendre l’analyse de son enfant : «seule la réunion de l’autorité paternelle et de l’autorité médicale en une seule personne, et la rencontre en celle-ci d’un intérêt dicté par la tendresse et d’un intérêt d’ordre scientifique, permirent en ce cas de faire de la méthode une application à laquelle sans cela elle n ’eut pas été apte» , Non seulement pour un enfant le transfert est optimal avec son père, mais de surcroît avec lui aucun risque de suggestion ne se présente, levée d’un risque permettant alors aux associations d’être beaucoup plus libres et bien plus franches.
Freud n’était pas homme à penser, concevoir ni soutenir n’importe quoi; rien ne permet donc de douter de sa rigueur et de sa conviction scientifiques, ni de sa sincère préoccupation : il supervisa d’ailleurs régulièrement, et en place de tiers symbolique, l’analyse menée par le père avec son enfant; il analysa lui-même sa propre fille Anna; et même en 1935, s’il ne conseilla pas à E. Weiss d’envisager l’analyse de son fils, il ne le lui interdit pas pour autant : «avec ma propre fille, j’ai bien réussi, avec un fils on se heurte à des scrupules particuliers (…) Visiblement, tout dépend des deux personnes et du rapport qu’elles ont entre elles. Les difficultés vous sont connues. Je ne serai pas étonné si pour autant vous réussissiez» .
Les parents sont-ils de bons thérapeutes?
Quand elle devint à son tour psychanalyste, A. Freud soutint toujours que l’enfant ne transfère qu’avec ses parents; au contraire, comme avec l’adulte et indépendamment d’eux, avec l’enfant un transfert analytique est toujours possible, lui objecta M. Klein, qui analysa elle aussi ses propres enfants. Cette pratique fut donc loin d’être occasionnelle, et elle se développa notamment dans les pays anglo-saxons, où elle fit l’objet de l’exceptionnelle élaboration théorique de D.W. Winnicott, qui reprit au fond la position inaugurale de Freud : les parents sont d’excellents thérapeutes pour leurs enfants, et il leur suffit d’en rendre compte à un psychanalyste tenant la place de tiers symbolique, pour que le transfert ne se court-circuite en se refermant sur lui-même. L’analyse de la petite Piggle en offre l’exemple.
H. von Hugh Helmuth
Responsable dans la revue Imago de la rubrique intitulée De la véritable essence de l’âme enfantine, créée pour elle en 1912, H. von Hugh Helmuth [57] déclara pourtant dès 1920, au Congrès de La Haye, à la fin de sa conférence consacrée à la technique de l’analyse de l’enfant : « Je considère qu’il est impossible d’analyser son propre enfant. D’abord parce que l’enfant ne révèle presque jamais ses désirs et ses pensées les plus intimes à son père ou à sa mère, ne leur découvre entièrement ni son conscient, ni son inconscient, ensuite parce que, dans ce cas, l’analyste devrait passer par une construction, et que le narcissisme des parents ne supporterait qu’avec peine la franchise psychanalytique de l’enfant». L’argumentation s’oppose point par point à ici le de Freud, et elle est énoncée en toute «franchise» en sa présence, lors d’un congrès. Sans doute H. von Hugh Helmuth parlait-elle en connaissance de cause, elle i|iu tenta sans succès, et mortellement à ses dépends, d’analyser son propre neveu. I si-ce pour cette raison que ses propos n’eurent guère de portée, parmi les tenants de l’analyse avec l’enfant d’alors? C’est peu probable, tant les principes énoncés par I reud en 1909 demeuraient pour tous prescriptifs. En quoi le sont-ils toujours, au tond, et qu’est-ce qui a fondamentalement changé de nature depuis?
Le triangle symbolique freudien
Force est bien de le constater : pour ce qui regarde la prise en charge des enfants liés jeunes voire des nourrissons, pour ce qui regarde la cure des enfants psychotiques voire des autistes, nous retrouvons aujourd’hui la mise en œuvre du même niangle «parent(s)-enfant-psychanalyste» que du temps de Freud. Son agencement réel n’est toutefois plus tout à fait identique, puisque le parent n’est plus l’analyste patenté de l’enfant; mais il n’en participe pas moins à sa cure, et activement, puisque durant les séances il tient sa place, tout comme les deux autres tiennent en principe rliacun la leur. Cette mise en œuvre de la présence réelle laisse évidemment pendante celle de l’absence symbolique dont elle devrait se soutenir; mais (encore qu’elle soit loin de faire l’unanimité, puisque la cure verbale avec le seul nourrisson est pratiquée, et quels que soient ses troubles), pourquoi la justification théorique d’un tel agencement technique réel des places, justification souvent détaillée, et alléguant essentiellement de l’impossible séparation mère-enfant (par exemple quand ce dernier est infans, très petit, ou très atteint) n’est-elle jamais convaincante, paraît-elle lallacieuse, et évoque-t-elle ces «trucs» dont fait usage H. von Hugh Helmuth pour s’assurer à toute fin de la collaboration de jeunes patients réticents? Elle ne convainc pas, parce qu’elle semble toujours n’être que l’alibi de l’analyste qui prend son écha- laudage technique pour substitut des enjeux transférentiels et psychiques qu’il méconnaît encore, mais auxquels il est confronté sans savoir. Il est donc juste de prétendre que faute d’une autre, d’une nouvelle élaboration théorico-clinique et technique aussi rigoureuse et pertinente que celle de Freud, les principes qu’il a énoncés on 1909 demeurent valables, leur caractère prescriptif se renforçant des peu probantes et multiples techniques inventées depuis lors.
Les cures à mères
Cependant, quelque chose qui est loin d’être anodin a fondamentalement changé de nature depuis l’analyse de Hans. Là où Freud soutenait que seul le père avait qualité pour participer à la cure de l’enfant, la mère maintenant prend sa place et prévaut sur le père. Toutes les explications sont bonnes pour prétendre qu’il doit en lire ainsi, et que faute d’un tel aménagement, non seulement le résultat de la cure serait compromis, mais que de surcroît le devenir de l’enfant serait menacé. Les motifs allégués vont de la carence paternelle à la forclusion du nom-du-père, de la perversion aux problématiques refoulements des ascendants maternels, du stade du miroir au schéma optique : tout cela et bien d’autres choses, pour aboutir à l’irremplaçable mère et, quand l’enfant est autiste, à l’incontournable locution mère-enfant, dont le trait unaire esi évidemment d’union. Quand les mots n’ont plus la mémoire des choses correspondantes, pour que la clinique n’en paraisse pas trop en vrac, on en fait des constructions techniques! Il n’est pas dit qu’avec un enfant autiste, une cure père et enfant ne soit pas plus congruente qu’une cure mère-enfant, au moins pour ce qui concerne le réel, si c’est vraiment sur lui plutôt que sur le symbolique, que la technique doit s’étayer. Et c’est encore au bénéfice des conceptions freudiennes que tout compte fait, se soldent toutes ces techniques à mère. Ne serait-il pas alors plus économique d’y faire retour, en prenant pour fond de nos élaborations techniques avec l’enfant, le triangle symbolique des places que Freud nous propose? La question vaut d’être posée, même si elle incommode : ce n’est pas tous les jours que la loi phallique divertit de la castration.