La thérapeutique par le temps : Le froid ralentit le temps de la vie
On peut lier à cet aspect thérapeutique du temps le fait que son déroulement semble varier avec la température de l’organisme, laquelle modifie le fonctionnement du corps humain. Le rythme du corps ralentit lorsqu’il se refroidit et cela joue par fois un rôle fondamental pour la survie de l’individu. Les Aborigènes d’Australie, les Bushmen africains, qui dorment dehors par des températures descendant parfois près de 0 °c, ou les Akalalufs de l’extrême pointe sud de l’Amérique, qui plongent nus pour chercher des coquillages dans l’eau glacée, résistent au froid en abaissant automatiquement la température de leur corps.
L’explorateur polaire Jean-Louis Étienne, lors de son expédition à skis, en solitaire, au pôle Nord, en 1986, a mis en œuvre cette méthode pour survivre. Il souffrait d’un déficit en énergie, du fait d’un manque de calories, car il avait mal calculé ses rations alimentaires. Il a réussi à compenser ce déficit en abaissant son métabolisme, en profitant du froid ambiant pour réduire sa température interne, ce qu’il avait appris à faire lors de son entraînement. Cela lui a sauvé la vie.
Ce réflexe de se mettre en état de vie ralentie en abaissant la température de l’organisme est probablement un héritage de nos lointains ancêtres animaux. C’est ainsi que procèdent, on l’a vu, les hibernants. Les iguanes marins des Galapagos, ces étranges reptiles qui ne vivent que sur ces îles désolées, au milieu du Pacifique, ont appris à résister au froid de l’eau dans laquelle ils doivent souvent plonger pour trouver les algues dont ils se nourrissent, en réduisant leur consommation d’oxygène et en abaissant leur rythme cardiaque. Dans une moindre mesure que les animaux, les humains peuvent aussi résister à des froids exceptionnels sans toujours mener pour autant une existence ralentie. Les Eskimos, trapus et souvent matelassés de graisse, vivent très bien par des températures de – 40 °C, fréquentes pour eux. L’explication est simple : ils ne souffrent jamais du froid car leurs vêtements de fourrures sont très efficaces et leurs igloos sont conçus pour conserver une chaleur relative. Il en est de même des populations de Sibérie.
L’exposition à des froids plus intenses est généralement mortel. L’hypothermie commence lorsque l’organisme descend à une température inférieure à 35 °C. A 31 °C, on tombe généralement dans le coma ; au-dessous de 28 °C, l’organisme a toutes les apparences de la mort, la vie semble gelée. Cependant, on a fait de surprenantes observations de survie chez des hommes ou des femmes restés plusieurs heures dans un grand froid, car le corps humain possède d’étonnantes possibilités de réaction : à 28 °C, il diminue de moitié ses besoins en oxygène. Le cerveau, qui ne pourrait survivre que quelques minutes sans cet oxygène, peut alors résister pendant des heures, le cœur aussi. On peut donc faire revivre ces naufragés du froid. On a sauvé ainsi un ingénieur américain de quarante-deux ans, tombé dans une crevasse et dont la température était descendue à 19 °C. Les chirurgie de l’hôpital de Berne qui lui ont ouvert le thorax ont trouvé son cœur « dur comme un bloc d’acier ». Ils lui transfusèrent du sang chauffé et le cœur se mit à battre de nouveau dix minutes plus tard. Le miraculé a retrouvé toutes ses facultés, sauf le souvenir de son accident. On a retrouvé gelés, mais vivants, quelques passagers clandestins qui avaient traversé l’Atlantique dans le logement du train d’atterrissage d’un avion volant dans la haute atmosphère, où la température est extrêmement basse.
On utilise cette faculté de l’organisme de ralentir ses fonctions lorsque sa température s’abaisse pour effectuer d’importantes opérations sur le cœur après avoir refroidi le patient entre 30 °C et 28 °C. On peut suspendre ainsi l’activité du cœur pendant quarante-cinq minutes, pour procéder à de délicates interventions sur des vaisseaux sanguins, en plaçant l’organisme entre 18 °C et 20 °C. Il est possible de descendre localement la température d’un organe autour de 15 °C. Mais on n’en est pas encore à réaliser le rêve d’Hibematus et de supprimer le temps en congelant les hommes pour les rendre immortels. Cela n’empêche pas des Américains de dépenser des fortunes pour maintenir au grand froid les cadavres de leurs proches, dans l’espoir que la science trouvera un jour le moyen de les ressusciter. Ce qui, pour le moment, n’est pas imaginable, car on ne peut conserver ainsi que des éléments vivants de faibles dimensions et ne comprenant que peu de cellules, car toutes ne réagissent pas de la même façon à la congélation. Un froid moins vif – autour de 0 °C – permet de conserver des organes isolés, en vue d’une greffe, le foie pendant trente-cinq heures, les poumons vingt-quatre heures, les reins quarante-cinq heures.