La parole et le language:la dysphasie,le leurre techniques en psychanalyse
Clinique
Cet adolescent nous dit de la lecture : «Je suis obligé en moi-même de mimer, de dire à voix basse avec l’intonation, comme pour donner un sens, comme si je doutais du bon sens de l’écrivain, comme si je mettais à l’épreuve ce qu’il a écrit. N’est-ce pas trop facile de dire «il a pleuré», «il a dit d’un ton réprobateur», comme si je mettais en doute l’efficacité et la pertinence de l’image qu’il a voulu donner… et sans compter le nombre de mots que je ne connais pas, que j’ai oubliés, vous en seriez étonné, quelquefois les plus simples, des adjectifs banaux, je les ai appris, je les ai oubliés; «roublard» par exemple, je connaissais cette expression, je l’avais oubliée; jne partie de mon cerveau ne marche pas, comme si mon désir ne monopolisait que les trois quarts de son fonctionnement. Cette partie du cerveau réfléchit sur un sujet, le reste mangé par l’autre partie, ma mémoire en prend un coup. La partie du cerveau réservée à la mémoire est en extension. Des mots appris vingt fois, je les oublie, je bute ; des mots qui seraient très bien pour décrire. Sous prétexte de ne pas trouver ces mots, je passe à autre chose ; on dit « il est fou, on ne sait plus ce qu’il veut dire ».
L’exemple clinique «roublard» pose la question de ce qui manque de l’articulation ians le dire. C’est l’image qui est mise en doute «au regard» de l’articulé, c’est-à- jire au regard d’une intégration motrice qui serait plus fiable que la représentation, déficit que le patient met au compte de sa mémoire. Ce n’est pas du côté de l’image qu’il y a trouble de mémoire; de nombreux enfants oublient ce qu’ils viennent pour- :ant de répéter, et c’est d’observation courante. Où le trouble alors se situe-t-il?
Le dysphasique
Chez l’enfant normal, qu’est-ce qui fait qu’il dévore le sens de la voix qui vient de l’Autre (c’est-à-dire de l’interlocuteur), pour à son tour se séparer de cet objet a qu’est la voix? Autrement dit, qu’est-ce qui fait qu’il ne prenne pas le risque de perdre du sens en même temps que de la voix?
Qu’est-ce qui fait que pour le dysphasique, voix et sens soient coliabés?
Le dysphasique «comprend tout», donc il «tient» le sens, et il répond par gestes, attitudes, regard, et avec émotion. Qu’en est-il chez lui de cette coupure entre le sens qu’il comprend, lui fasse des interprétations. Cette crainte est loin d’être étrangère il celle que peut inspirer la situation analytique.
Cette question du sens est renvoyée dans le lieu de celui qui écoute et qui risque do donner du sens à ce qu’il comprendrait de ce qui est dit de façon incompréhensible pur le dysphasique. De sorte que celui-ci ne peut supporter dans le même temps qui l’autre ne comprenne pas, c’est-à-dire ne soit pas réceptif à une pensée sans langage,
La fonction phasique
Pour le dysphasique, le sens, c’est le sens que l’autre peut donner à ce qu’il dit. S’il n’articule pas, c’est pour que l’autre ne le déborde pas en donnant un autre sens que le sien à sa parole.
D’où la rage qui est la sienne, et du côté du leurre, la rage de ce que l’autre ne comprenne pas ce qui fait précisément sens pour lui. Il est fou de ce que l’autre ne comprenne pas ce que lui a si bien compris.
Que le dysphasique soit économe de sens, qu’il en soit le gardien, qu’il paraisse soutenir une pensée sans langage, qu’il veuille que tous nous pensions pareillement, ce qui ferait l’économie de la voix, nous suggère qu’il s’agit là des effets d’un fantasme.
Cette énumération de ce qui supporte ce fantasme ne manque pas non plus de non* suggérer qu’il doit avoir bien des points communs avec celui du bègue, et l’on comprend qu’ils aient pu être rapprochés dans de nombreuses recherches.
La logique du fantasme
La formule logique que Lacan propose du fantasme — pour rendre compte de rapports entre le sujet parlant…. et l’objet du désir a, articulés l’un et l’autre par un «poinçon» 0 qui en est une figure de réversibilité — marque le désir par rapport auquel l’éventualité est la suivante : ou bien le sujet refoule l’objet, ou bien il le lait valoir, mais alors il risque de lui-même s’effacer . Si nous essayons d’appliquei cela au fantasme du dysphasique ou du bègue, nous constatons :
- Que le poinçon semble retenir l’objet a à tout prix pour conserver le sens, el ne pas se laisser déborder par ce qui parle dans l’Autre, en particulier par l’équivoque (lu sens. Équivocité et probabilité du sens sont maintenues refoulées : le dysphasique s’en castre; pour lui, l’énoncé met en danger l’univocité du sens.
- Qu’il y a donc à retenir refoulé ce qui vient de l’Autre : c’est lui qui divise le sujet. Quand il apprend à lire, le dysphasique garantit cette univocité par la lecture, 1 mais la polysémie est présente, puis qu’il entend et comprend.
- Cette problématique se retrouve chez le sourd et muet à qui on apprend à parlei par la lecture ; son drame, c’est qu’il n’y a qu’univocité ; il n’y a pas de polysémie ; le mot rose, c’est la fleur, et non pas la couleur.
Cette univocité, garantie par la lecture, entraîne le défect de toute polysémie, el iln même coup, prenant le mot pour la chose, les démutisés risquent de se retrouver hors langage.
Les conséquences des démutisations, partiellement évitées d’ailleurs par la langue des signes, évoquent souvent une structure psychotique chez le sujet. La parole déborde en effet le sens et l’invalide; l’unité de sens est donc une nécessité pour eu*, Ce qui est alors le résultat de ces méthodes, c’est un fonctionnement sans fonction
un fonctionnement auquel rien de phallique ne correspond. Et si l’on évoque la psychose, c’est qu’il s’agit d’une parole sans phallus, c’est-à-dire sans signifiant du désir.
- Dans la rééducation des dysphasies, on risque également de créer un fonctionne- I ment sans fonction. Il est donc nécessaire que la visée de la rééducation soit I d’embrayer le fonctionnement sur une fonction connexe (vision, tact, motricité, etc.), | file-même croyable ou étayable sur un fonctionnement qui soit nouveau (grâce à la I rééducation par exemple). Le dysphasique emprunte de ce fait une autre voie : celle une fonction non refoulée, et dont le fonctionnement est disponible.
- Un tel projet n’est réalisable qu’à partir d’une levée de refoulements, et suppose I par conséquent que soit mené un certain travail analytique, dont il n’est pas besoin de I souligner qu’il doit porter sur la lettre, son contenu, ses registres (Réel, Imaginaire el I Symbolique); travail qui peut être mené de concert avec celui de la lettre dans la lecture et dans l’écriture.
Envisager les choses de cette façon rend nécessaire d’aborder les «troubles instru- I mentaux». Pourquoi? Parce que la dysphasie et la surdi-mutité, tout comme le I bégaiement, sont considérés comme des troubles instrumentaux.