La nécessité de traitement des troubles psychiques
A ce sujet, nous voudrions d’abord attirer l’attention sur le fait que la classification ou désignation « cas de maladie psychogène » n’entraîne pas nécessairement la « nécessité de traitement », car celle-ci dépend aussi de la perception qu’a le sujet de lui-même et de son comportement. À cela s’ajoute que dans l’enquête de Schepank, Janta et Tress (1987), qui abordent la question de l’indication de la psychothérapie, se réfèrent non pas au premier critère de définition du cas (prévalence ponctuelle [c’est-à-dire fréquence de survenue à un moment précis] de 7 jours) mais à la gravité moyenne du handicap pour l’année écoulée entière, « parce que cela tient probablement mieux compte de l’évolution à long terme caractéristique des troubles psycholologiques concernant l’indication à la thérapie ». Les sujets ont ainsi été groupés selon qu’ils souffraient d’un handicap léger, modéré ou grave et on les a examinés en vue de la nécessité d’un traitement psychothérapeutiques qualifié selon les critères d’indication cliniques (psychanalytiques).
Pareille nécessité de traitement psychothérapeutique définie par un expert a été constatée chez 137 des 600 sujets (22,8 %). Les chances de suivi effectif de cette thérapie ont été évaluées par rapport à la motivation ou la possibilité de motiver les sujets : 68 des sujets (11,3 %) ont été considérés comme motivés, ou motivables pour un traitement psychothérapeutique. L’enquête ne permet pas de savoir s’ils auraient effectivement saisi l’occasion de traitement si on la leur avait présentée. Cela dépendrait aussi, entre autres, des personnes et situations associées à cette offre. Il ressort cependant de cette étude que l’année précédant la recherche, seulement 16 d’entre elles avaient consulté un médecin à cause des troubles diagnostiqués comme psychogènes par l’interviewer. Nous ne pouvons pas entrer dans les détails de ce problème et renvoyons à la monographie de Schepank. Mais nous voudrions attirer l’attention sur le fait que dans l’estimation du besoin de psychothérapie, il faut encore tenir compte d’autres facteurs que du seul diagnostic. De pareilles estimations recommandent donc la prudence.
En résumé, on peut dire avec Schepank (1987), concernant la nécessité de psychothérapie dans la population étudiée :
Environ la moitié de la population est largement bien portante et de manière stable ; ces personnes auront peut-être besoin d’un soutien lors de l’un ou l’autre moment de leur vie, mais dans l’ensemble, elles ne rentrent pas en compte dans la planification des soins de santé.
L’autre moitié de la population montre des symptômes psychogènes nets (un taux de prévalence ponctuel), et cela dans une mesure qui entraînerait un diagnostic CIM du domaine 300-306 (c’est-à-dire troubles névrotiques, de la personnalité, et autres non psychotiques : voir tableau 3) si le sujet s’adres¬sait à un clinicien. La moitié de ces sujets (environ 25 % de la population) n’ont que des troubles légers et ne relèvent pas d’une définition de cas, mais parmi eux la moitié constitue une population à risque (12 % de la population totale). Schepank fait à son sujet le commentaire suivant :
« Actuellement soignée par voie médicamenteuse, elle a besoin d’une offre de conseil, ou d’accompagnement et de la possibilité de consulter des généralistes compétents pour des questions psychologiques et/ou des spécialistes d’orientation psychosomatique ainsi que des centres de consultation. Quelques-uns de ces sujets (ayant un taux de points BSS de trois ou de quatre points, mais n’étant donc pas encore des « cas ») feraient tout à fait partie de la clientèle de ceux qui reçoivent aujourd’hui une thérapie prolongée intensive analytique ou comportementale (suite à une indication faite par un expert) et qui peuvent encore être traités avec succès par psychothérapie. Un objectif tout à fait souhaitable du point de vue de la prévention secondaire. »
La nécessité et l’accessibilité au traitement des 25 % environ d’adultes restants, qui sont diagnostiqués comme cas, est estimée de la façon suivante :
— La moitié de ce groupe (environ 12,5 % de la population totale) a besoin d’une thérapie psychothérapeutique ambulatoire. Concernant le choix de cette thérapie, Schepank dit :
« Cette estimation que nous venons de faire est trop globale pour pouvoir déjà décider de l’indication d’un procédé psychothérapeutique précis ; par psychothérapie nous entendons donc ici le large spectre allant des différentes interventions qualifiées de conseils aux procédés de thérapie individuelle ou de groupe orientés par la psychologie des profondeurs et d’orientation analytique, en passant par le training autogène, la psychothérapie brève focale ou dynamique, l’intervention de crise, la thérapie comportementale intensive plus ou moins longue. »
Pour environ un sixième (environ 4 % de la population) une amélioration,ou un traitement réussi ne peuvent être envisagés que dans le cadre d’une psychothérapie spécialisée en clinique (y compris les procédés psychothérapeutiques de réhabilitation ou des mesures curatives).
__ Environ un tiers des cas (environ 8 % de la population) doivent être considérés comme ne pouvant plus être traités par psychothérapie vu l’imposibilité de les motiver, la chronicité de leurs troubles, les aménagements de
leur vie, etc.
Pour terminer, disons encore une fois que la présence de sentiments et de pensée négatifs, de difficultés et de problèmes et même de graves crises n’est pas synonyme de trouble psychique et qu’en cas de trouble psychique,il y a lieu de distinguer différents degrés de gravité. Un ou plusieurs symptômes ne font pas un diagnostic, et le fait qu’on ait posé un diagnostic ne signifie pas nécessairement qu’il s’agit d’un cas de trouble psychique nécessitant un traitement. Pour qu’on puisse parler de « cas », pour qu’il y ait trouble, il faut que les symptômes dépassent un certain degré de gravité. Il y a donc lieu de distinguer les problèmes psychiques « normaux » des troubles psychiques, tout en soulignant que les problèmes psychiques normaux, comme les problèmes relationnels et de couple, les difficultés sexuelles, les difficultés concernant le travail et le rendement, etc. justifient eux aussi une aide psychologique . Le problème de la nécessité de traitement, de l’estimation des besoins et des services de soins psychothérapeutiques ne peut pas être approfondi ici ;
pour leur discussion, nous renvoyons à Schepank (1987).