La maladie d'Alzheimer et l'aluminium
Quelles sont les causes de la maladie d’Alzheimer ?
Une vingtaine de facteurs de risques sont avancés, essentiellement sur la base d’observations épidémiologiques. L’aluminium est mis en cause, mais à tort, semble-t-il.
Nous savons avec certitude que l’incidence de la maladie d’Alzheimer (MA) est liée à la vieillesse et que certaines personnes sont plus mena¬cées en vertu de leur prédisposition génétique. La MA pourrait empirer en cas de carence vitaminique ou d’absence de stimulation mentale, mais ces dernières ne constituent pas la cause de la maladie, que l’on ne connaît toujours pas. Il existe cependant de sérieux candidats : déséquilibre fonctionnel d’une enzyme, anomalie génétique, invasion microbienne ou toxines métalliques, par exemple. Par le passé, cette dernière catégorie semblait expliquer la maladie et offrir un moyen de la prévenir : le coupable était l’aluminium.
Durant 25 années, on a consacré beaucoup de temps, d’argent et d’efforts pour contrôler l’impact de ce métal sur nos vies, 25 années pour rien. La première personne chez qui a été diagnostiquée la MA est Auguste D1, une femme allemande de 51 ans qui, en 1901, était devenue étourdie, désorientée, avait des difficultés à lire et développait des symptômes de jalousie obsessionnelle envers son mari. Elle fut admise à l’asile de Francfort où son cas fut soumis au neurologue Aloïs Alzheimer (1864-1915). Il analysa son déclin continu, notant qu’elle était sujette à des accès de hurlements et de trépignements, quelle était incapable de se souvenir des noms des membres de sa famille et que, finalement, elle était devenue totalement apathique et incontinente.
À sa mort, en avril 1906, son cerveau fut envoyé à Alzheimer qui travaillait à la Clinique Psychiatrique Royale qui faisait partie de la Faculté de Médecine de Munich. Il le trouva très atrophié et cela le surprit car il appartenait à une femme relativement jeune. Il examina des échantillons de son tissu et, après coloration à l’argent et examen au microscope, il découvrit des dépôts bizarres dans les cellules nerveuses endommagées. Alzheimer présenta ces résultats à la 37e Conférence des Psychiatres Allemands à Tübingen, en 1907, et publia dans le plus grand journal allemand de psychiatrie un article intitulé « Une nouvelle maladie du cortex ». La maladie fut baptisée à son nom en 1910 par l’éminent psychiatre allemand, Emil Kraepelin, qui y fit référence comme maladie d’Alzheimer dans la huitième édition de son influent Handbook of Psychiatry, et le nom fut adopté. Cependant, ni les symptômes, ni les résultats d Alzheimer n’étaient nouveaux, mais cela convenait à Kraepelin de les faire connaître au public en tant que nouvelle maladie car cela faisait une bonne publicité à la Faculté de Médecine de Munich et assurait donc à son institution un financement continu.
En 1984, on trouva que les plaques étaient constituées d’un peptide béta-amyloïde, un déchet de protéine que le cerveau élimine difficile¬ment et qui, le cas échéant, conduit à la formation de dépôts. Une protéine du plasma se lie à ces dépôts et les protège de la destruction en vue d’un recyclage par des enzymes mangeuses de protéines. Cette protéine protectrice est appelée protéine sérique amyloïde et elle est fabriquée par l’organisme à raison de 50 à 100 mg par jour, tout excès étant éliminé par le foie. Elle protège les dépôts amyloïdes indésirables ainsi que d’autres protéines amyloïdes. Ainsi que nous le verrons, l’élimination de la protéine sérique amyloïde du sang est un moyen possible de se débarrasser de ces plaques.
Dans la MA, les parties du cerveau les plus atteintes sont les régions extérieures du cortex, l’hippocampe et l’amygdale qui sont situés dans la zone profonde du cerveau. La perte de cellules nerveuses dans la région de l’hippocampe ne peut être remplacée et elle entraîne l’appari¬tion du symptôme le plus évident, la perte de mémoire, pour laquelle il n’existe pas de remède. Le mieux que nous puissions espérer est de la prévenir ou de la stopper juste après le diagnostic.
La MA touche de plus en plus de personnes car c’est une maladie de la vieillesse et dans les pays développés, la population est vieillissante. On recense environ 800 000 malades en France, 4 millions aux États- Unis, et autour de 12 millions dans le monde. L’incidence de la MA augmente considérablement avec l’âge, et la maladie touche jusqu’à 15 % de la population de plus de 80 ans. La maladie survient rarement entre 60 et 65 ans et le taux de personnes atteintes est de 0,1 % seule¬ment. (La forme génétique de la maladie explique les 5 % de cas obser¬vés, mais dans ces cas, la maladie peut même débuter chez des personnes de 35 ans.)
L’agent environnemental considéré comme la cause la plus probable de la MA fut longtemps l’aluminium. Ce métal était jugé responsable du fait de son rôle dans une maladie aux symptômes similaires : le syndrome démentiel dû à la dialyse. Comme son nom l’indique, ce syndrome affecte les personnes qui doivent subir un traitement de dialyse du rein au cours duquel elles sont connectées à une machine qui libère le sang des toxines, et qui joue ainsi le rôle des reins qui ne sont pas aptes à le faire.
Dans les années I960, on avait remarqué que les personnes qui subissaient une dialyse deux fois par semaine ou plus présentaient des signes de démence ; autrement dit, elles commençaient à se comporter bizarrement, à parler de façon illogique, à avoir une mémoire défaillante et confuse, et à être maladroites. La cause de cette démence due à la dialyse était l’aluminium qui se dissolvait du matériel de dialyse et qui allait directement dans le sang, et de là, au cerveau. À peu près à cette période, une équipe de Newcastle, en Angleterre, a rapporté que des plaques prélevées à partir de cerveaux de malades atteints de ce syndrome démentiel contenaient des taux élevés d’alumi¬nium. De plus, lorsqu’ils injectaient des sels d’aluminium à des lapins et des chats, ils observaient, dans leurs cerveaux, la formation d’enchevêtrements d’un matériau fibreux.
L’aluminium qui provoquait le syndrome démentiel dû à la dialyse n’entraînait pas la formation de ces types de matériaux fibreux et de plaques amyloïdes associés à la MA et pourtant, chez les lapins et les chats, les fibrilles étaient présentes dans le cerveau et aussi dans d’autres parties du système nerveux. Effectivement, les effets ressemblaient davantage à une réponse toxique du métal, et cela était aussi valable pour l’Homme. Lorsqu’on traitait les patients souffrant de ce type de démence à l’aide de médicaments qui éliminaient l’aluminium de l’organisme, ces patients guérissaient. À cet égard, le syndrome démentiel dû à la dialyse était tout à fait différent de la MA, mais lorsqu’on avait affirmé que les plaques prélevées des cerveaux de victimes de la MA contenaient de l’aluminium, il avait paru logique de supposer que ce métal pouvait aussi être la cause de cette maladie. Une grande publicité a été faite autour du lien entre l’aluminium et la MA et tout le monde y a beaucoup cru. Et le train était en marche.
Cette théorie ne faisait pas l’unanimité. Sir Martin Roth, Professeur Émérite de Psychiatrie à l’Université de Cambridge et expert reconnu de la MA, ne soutint pas cette théorie et le déclara publiquement mais c’était la seule voix à s’élever. Pour ceux qui y croyaient vraiment, et ils étaient nombreux, éliminer l’impact de l’aluminium allait être une bataille ardue car il faisait maintenant partie de notre vie quotidienne. De plus, le public avait de bons souvenirs de ce métal, du moins en Grande-Bretagne.
L’aluminium est un des métaux les plus légers : sa densité de 2,7 grammes par centimètre cube est presque égale au tiers de celle du fer. Petite merveille, c’est ce métal qui fut utilisé pour la construction des avions. Effectivement, l’avion de combat en aluminium, le Supermarine Spitfire qui a vaincu la Luftwaffe dans le ciel de Grande-Breta- gne en 1940 et 1941 et contrecarré l’invasion planifiée du Royaume- Uni par Hitler, était un hommage approprié auquel l’aluminium pouvait prétendre.
Après l’oxygène et le silicium, l’aluminium est le troisième élément le plus abondant de la croûte terrestre et c’est le métal le plus abon¬dant. Son oxyde est tellement insoluble que seule une faible quantité de ce métal passe dans les eaux naturelles. Chaque année, une petite quantité de ce métal est rejetée dans les rivières, puis dans les mers, mais sa concentration dans l’eau de mer n’est que de 0,5 p.p.b. car il précipite vers le fond. Si le sol devient acide et que le pH est inférieur à 4,5, alors l’aluminium devient plus soluble ; cela peut affecter les plantes et les cultures en réduisant la croissance des racines et la capture de phosphate. C’était pourquoi on pensait que les pluies acides étaient si néfastes pour les plantes.
Une certaine quantité d’aluminium passe dans la chaîne alimentaire, mais la plus grande partie traverse notre intestin sans être absorbée car elle s’y trouve essentiellement sous forme de matériau insoluble. Certains sels d’aluminium tels que le citrate, sont solubles ; une certaine quantité d’aluminium peut donc passer dans le sang si elle rencontre l’acide citrique provenant des agrumes, mais cela ne présente aucune utilité. L’aluminium ne joue aucun rôle dans le métabolisme humain, mais, étant donnée notre ration journalière, il n’est peut-être pas surprenant que notre organisme en contienne en moyenne 60 mg.
Dans notre vie quotidienne, l’aluminium se trouve généralement sous forme de canettes ou de papier et il est facilement recyclé. Ses composés, et particulièrement, l’alun (sulfate de potassium et d’alumi¬nium), le sulfate d’aluminium, l’hydroxyde d’aluminium et l’oxyde d’aluminium, sont aussi utiles. Le premier d’entre eux a été utilisé durant des siècles comme mordant dans les teintures et pour stopper un écoulement sanguin ; le second est utilisé pour la purification de l’eau ; en cas de maux digestifs, vous pouvez prendre le troisième pour vous soulager. Quant au quatrième, il entre dans la fabrication d’un bijou que vous pourriez porter. (De nombreuses pierres précieuses sont fabriquées à partir de la forme cristalline claire de l’oxyde d’aluminium. La présence de traces d’autres métaux crée différentes couleurs ; le fer donne la couleur jaune à la topaze, le cobalt colore le saphir en bleu et le chrome donne au rubis sa couleur rouge. La fabrication de toutes ces pierres artificielles est maintenant facile et peu onéreuse.)
En définitive, nous avons utilisé l’aluminium pendant des siècles (voir encadré ci-après) mais se pourrait-il que, par inadvertance, nous ayons mis en danger notre santé mentale en agissant ainsi ?
L aluminium est si abondant dans le sol que toutes les plantes en absorbent un peu. Les théiers sont des arbustes qui en absorbent beau¬coup et l’alun est utilisé comme engrais dans les plantations de thé. Le thé apporte une quantité importante d’aluminium. Dans notre alimentation, les végétaux contenant le plus d’aluminium sont les épinards (104 p.p.m., poids sec), l’avoine (82 p.p.m.), la laitue (73 p.p.m.), l’oignon (63 p.p.m.) et la pomme de terre (45 p.p.m.). Les aliments conditionnés, et tout particulièrement les fromages (700 p.p.m.), en contiennent davantage et les biscuits et les génoises en contiennent beaucoup car la poudre levante utilisée est un phosphate de sodium et d’aluminium.
Au moment où on commençait à avoir peur de l’aluminium, les aliments étaient en contact avec ce métal de différentes façons : moules de cuisson en aluminium, emballages alimentaires, papier aluminium, plats pour alimentation à emporter et canettes de boissons. Cuite dans des plats en aluminium, la rhubarbe qui contient de l’acide oxalique peut dissoudre une petite quantité de métal. C’était la méthode tradi-tionnelle de nettoyage de ces plats qui, après de nombreux usages, avaient pris une couleur foncée.
L’aluminium dans l’histoire
Dès le premier siècle après J.-C., le médecin de l’armée romaine Dioscoride (40-90) écrivait l’ouvrage médical De Materia Medica dans lequel il recommandait l’usage de l’alun pour arrêter les saignements, pour le traitement de différentes maladies de la peau comme l’eczéma, l’ulcération et les pellicules, bien que dans ces derniers cas, son efficacité soit très limitée. Le monde ancien obtenait son alun à partir de gisements naturels en Grèce et en Turquie. Durant des siècles, ce matériau fut commercialisé et exporté via Constantinople, et au Moyen Age, on découvrit qu’il pouvait aussi être fabriqué à partir de la glaise et de l’acide sulfurique. La découverte de l’alunite, une roche de sulfate de potassium et d’aluminium, à Tolfa, dans les territoires contrôlés par le Pape conduisit au monopole papal sur sa fabrication en Europe dès les années 1460. L’industrie employait 8 000 hommes, produisait 1 500 tonnes d’alun par an et constituait pour Rome une source de revenus importants.
Cette situation persista jusqu’au démarrage de la production anglaise d’alun au début du XVIIe siècle, dans le nord du Yorkshire, où fut décou¬vert un important gisement de schiste argileux. Cette production brisa le monopole papal et le prix de l’alun chuta de façon spectaculaire. Dans le Yorkshire, la production d’alun dura plus de 250 ans. Bien que la fabrication de l’alun fût la première vraie industrie chimique, on com¬prenait peu la nature du produit et son processus de fabrication.
Aux XVIIIe et XIXe siècles, l’alun avait différents usages : les fabricants de papier l’utilisaient comme stabilisant, les médecins pour arrêter les sai¬gnements, les scientifiques, pour conserver les pièces anatomiques et les teinturiers comme mordant pour fixer les couleurs sur les tissus (les ions aluminium se fixent sur les fibres du tissu et le colorant se fixe sur les ions aluminium).
Étant donné toutes les sources de ce métal, il n’est peut-être pas surprenant de constater que notre apport journalier moyen en aluminium est compris entre 5 et 10 mg dont une petite partie seulement est absorbée (probablement inférieure à 0,01 %). Les silicates, les fluorures et les sulfates qui entrent dans notre alimentation empêchent son absorption grâce à la formation de sels insolubles. Quant aux sels solu¬bles, il leur est pratiquement impossible de franchir la barrière intestinale pour aller dans le sang où le taux d’aluminium n’est que de quelques p.p.m. En tout cas, nos reins jouent très bien leur rôle dans l’élimination de ce métal. De ce fait, notre métabolisme n’éprouve pas vraiment le besoin de se défendre contre une agression massive de ce métal, car, dans des conditions normales, cela ne se produira jamais. Mais, chez les patients dialysés, cela arrive : l’aluminium se lie à une protéine du sang, la transferrine, ce qui lui permet de pénétrer dans le cerveau.
Malgré l’évidence historique de la non-dangerosité de l’aluminium, une campagne d’une ferveur quasi-religieuse a été menée pour suppri¬mer toutes les sources éventuelles de contamination. On trouvait de l’aluminium dans certains endroits surprenants, y compris dans les additifs alimentaires. Les quatre additifs permis en Europe portent les numéros de code E173, E541, E554, et E556. Le premier d’entre eux est de la poudre d’aluminium qui était utilisée pour faire des décora¬tions « argentées » sur les gâteaux et pour enrober les dragées. Le second, le phosphate de sodium et d’aluminium est utilisé comme
agent émulsifiant. E554 et E556 sont respectivement le silicate de sodium et d’aluminium, et le silicate de calcium et d’aluminium ; on peut les ajouter à des denrées séchées en poudre telles que les laits arti¬ficiels, les préparations pour gâteaux, les soupes en paquets pour les empêcher de s’agglutiner en une masse solide.
On parlait beaucoup moins de l’apport d’aluminium par l’intermédiaire de certains médicaments, notamment les mélanges pour troubles digestifs et les médicaments à base d’hydroxyde d’alumi¬nium prescrits en cas d’ulcère gastrique ou duodénal. Si l’hypothèse de l’aluminium était fondée, on s’attendrait à ce que les personnes soumises à de tels traitements présentent un risque accru de MA, mais il semble que cela ne soit pas le cas. (Deux études ont montré qu’elles présentaient un léger risque, mais une autre étude a montré quelles ne risquaient absolument rien.) L’hydroxyde d’aluminium se présente sous forme de suspension colloïdale ou de comprimés. La forme liquide en contient environ 4 % ; elle est parfumée avec de l’essence de menthe poivrée et de la saccharine et elle est couramment administrée à raison de 100 ml par jour (par doses de 15 ml toutes les deux ou quatre heures), ce qui correspond à un apport journalier de 4 000 mg. Sous forme de comprimés, le dosage corres¬pond à 500 mg par comprimé.
L’utilisation de l’aluminium pour la purification de l’eau était encore moins connue : sous forme de solution de sulfate d’aluminium, il purifie r eau potable, nettoie les eaux résiduaires et élimine le phosphate des eaux usées. C’est la première de ces utilisations qui mit subitement le sulfate d’aluminium sous le feu des projecteurs des médias, au Royaume-Uni ; en effet, à son arrivée au siège d’une compagnie locale des eaux, le chauffeur d’un camion citerne qui en contenait ne trouva personne pour lui indiquer ce qu’il fallait en faire. Il en résulta ce qui est devenu l’incident de Camelford.
Durant plus d’un siècle, le sulfate d’aluminium avait été utilisé à grande échelle comme agent floculant et clarifiant. Il agit en formant un très important précipité d’hydroxyde d’aluminium et de sulfate de calcium, appelé le « floc », qui piège toutes les poussières et bactéries en s’accumulant au fond de la solution, laissant la place à une eau claire et limpide ; cependant, il reste environ 0,2 mg d’aluminium dissous par litre, ce qui correspond à 0,2 p.p.m., ou encore de façon plus alar¬mante, à 200 p.p.b. (taux maximal dans l’eau potable recommandé par l’Union Européenne et l’Organisation Mondiale de la Santé). L’eau apporte 0,03 mg sur le total de 5 mg d’aluminium qu’une personne consomme en moyenne à travers son alimentation, c’est-à-dire, moins de 1 %.
On obtient le sulfate d’aluminium en faisant réagir de l’hydroxyde d’aluminium avec de l’acide sulfurique et, dans les stations de produc¬tion d’eau potable, il est généralement stocké sous forme de solution concentrée dans de grosses citernes souterraines et utilisé si nécessaire. Il est d’abord dilué, puis additionné à l’eau à traiter où il réagit avec le bicarbonate de calcium naturellement présent dans l’eau pour donner le « floc ».
En juillet 1988, à Camelford, dans le nord des Cornouailles, en Angleterre, notre chauffeur de camion citerne arriva à la compagnie locale des eaux avec 20 tonnes de solution concentrée de sulfate d’aluminium et, ne connaissant pas le site, il le déversa dans ce qu’il pensait être l’installation de stockage. En fait, il l’injectait directement dans le réseau d’adduction et de distribution d’eau. De ce fait, il conta¬mina l’approvisionnement en eau de 20 000 personnes. L’eau en question contenait jusqu’à 50 p.p.m. d’aluminium, et parfois dix fois plus.
Certains habitants consommèrent de cette eau. Depuis lors, certaines des personnes affectées ont fait campagne pour obtenir un dédommagement en citant toutes sortes d’effets néfastes engendrés par l’ingestion de cette eau. À ce jour, différentes commissions d’enquête n’ont trouvé aucune preuve soutenant les affirmations des plaignants. Des chercheurs du Childhood Cancer Research Group of Paediatrics (groupe de recherche sur le cancer de l’enfant) de l’Université d’Oxford, ont publié un article en mai 2002 dans le British Medical Journal qui montre que, dans les dix années qui ont suivi l’incident, le pourcentage de décès parmi les habitants de Camelford exposés à l’eau contaminée était légèrement plus bas que celui des régions voisines dont les habitants n’avaient pas été exposés.
Pour beaucoup de personnes, la présence d’aluminium dans l’eau potable ordinaire fut une révélation et devint une cause d’inquiétude. Des études épidémiologiques affirmaient déjà établir des liens entre l’aluminium et l’incidence de la MA (neuf des treize études publiées arrivaient à cette conclusion) malgré les difficultés à estimer les quantités d’aluminium provenant d’autres sources dans le régime alimentaire. Néanmoins, les militants anti-aluminium exigeaient de mettre un terme à son utilisation dans le traitement de l’eau et les compagnies commencèrent à accéder à leur demande.
Les résultats étaient aussi en désaccord avec l’usage répandu de l’hydroxyde d’aluminium dans les traitements prescrits pour les ulcères gastriques et les troubles dus à l’acidité gastrique qui nécessitent tous deux une prise quotidienne pouvant aller jusqu’à 3 grammes, quantité que les médecins considèrent comme tout à fait inoffensive. Les méde¬cins prescrivaient à certains patients atteints d’hyperphosphatémie
(taux de phosphate trop élevé dans le sang) des doses d’hydroxyde d’aluminium bien plus élevées car ce dernier réagit chimiquement avec tout phosphate inclus dans [’alimentation pour former un phosphate d’aluminium insoluble, ce qui empêche son absorption à travers la barrière intestinale.
Certains médicaments à base d’hydroxyde d’aluminium, traitant les troubles gastriques, sont en vente libre ; ils se présentent sous forme de suspension buvable ou de comprimés. Lorsqu’ils contiennent du trisili- cate de magnésium, ces produits agissent également contre les brûlures d’estomac et préviennent la constipation.
Néanmoins, on chercha à identifier les autres usages de l’aluminium dans le but d’y mettre un terme. On trouvait aussi l’aluminium sous forme d’alun dans les pharmacies de nos salles de bains : il agit comme un puissant astringent, c’est-à-dire qu’il arrête les saignements en précipitant des protéines. Sous forme de stylo hémostatique, on l’utilise souvent contre les coupures du rasoir. Une solution diluée d’alun peut être utilisée pour raffermir la peau et prévenir les douleurs aux pieds. Le chlorure d’aluminium agit comme un bon anti-transpirant, et dans les cosmétiques, on le préfère à l’alun car il irrite moins la peau.
En 1990, la campagne contre l’aluminium battait son plein lorsque, subitement, elle a été stoppée : des analyses chimiques plus sophistiquées des plaques de cerveaux prélevées sur des victimes de la MA ont montré que les plaques ne contenaient pas de métal du tout ! Ces travaux de recherche ont été effectués à Oxford en 1992 et ont été repris à Singapour en 1999, et dans les deux cas, en utilisant la micros- copie nucléaire. Cette technique est particulièrement efficace pour la détection d’un métal comme l’aluminium mais aucune quantité significative n’a pu être trouvée dans le tissu cérébral. Frank Watt et ses collaborateurs ont publié ces nouveaux résultats dans le très autorisé journal scientifique Nature. Ces résultats ont été étayés par des travaux de recherche ultérieurs.
Watt concluait : « Les résultats, considérés conjointement avec un travail précédent relatif à l’analyse des plaques séniles par la technique de microscopie nucléaire, montrent qu’il n’existe aucune raison de considérer l’aluminium comme facteur étiologique de la MA. Il est possible que les tissus traités lors des études précédentes, dans lesquels on avait détecté de l’aluminium au niveau des plaques séniles et des dégénérescences neurofibrillaires, aient pu être contaminés ou aient pu subir une redistribution de l’élément ».
Il fallut encore beaucoup travailler avant de laver l’aluminium de tout soupçon. Au cours de l’année 2000, on administra à un groupe de volontaires de fortes doses d’hydroxyde d’aluminium durant quarante jours et on rechercha durant cette période la présence d’aluminium dans leurs urines. On constata qu’ils excrétaient dix à vingt fois plus que le taux normal de métal mais que cela n’avait absolument aucun effet sur leur système immunitaire. La conclusion évidente était que l’aluminium était bien toléré par l’organisme, ce qui n’est peut-être pas si surprenant étant donnée l’abondance de cet élément dans l’environ¬nement naturel.
Discrètement, les compagnies des eaux réintroduisirent le sulfate d’aluminium pour la purification de l’eau. Même celles qui avaient remplacé le sulfate d’aluminium par le sulfate de fer revinrent à leur première méthode de purification.
Alors, l’aluminium est-il sans danger ? Pas complètement, et les personnes atteintes de troubles rénaux doivent penser à l’éviter. Même si 99 % de la quantité ingérée traverse l’organisme sans être absorbée, à la différence de la plupart des gens, ces personnes ne peuvent excréter le 1 % restant. Pour tous les autres, l’aluminium ne représente pas une menace. Il reste vrai qu’avec l’âge on peut craindre l’apparition de la MA. Existe-t-il un moyen d’éviter cette maladie en modifiant nos habitudes ? Probablement non. Notre plus grand espoir est que la recherche médicale aboutisse à un traitement ou mieux encore, à un moyen de prévenir cette maladie. Si cela doit arriver, alors il est néces¬saire que nous comprenions complètement les causes de la maladie. Il existe déjà plusieurs indices sur ce que pourraient être ces causes.