La gémellité,contestation bizarre de la différence
fonction du miroir chez le jumeau. Comment la mère se débrouille-t-elle avec chacun?
lit surtout, quelle est la formule de son fantasme, celle qui l’a amenée à enfanter des jumeaux? Il convient d’abord de rappeler que la gémellité est de règle : qui n’a pus de jumeau, de jumelle, y contrevient et, de toute façon, se cherche son semblable, »11 pareille, son double, ou un frère «à abattre».
Mais au niveau de la fonction et du fonctionnement, qu’en dire?
- Il faut que la mère fonctionne pour deux, qu’elle soit la fonction de deux. Quelle vu l’tre son économie? Partage ou multiplication? En l’occurrence il y a statut parti- i iilier de la supplémentation entre les deux jumeaux.
Au fonctionnement de l’un, l’autre est l’objet a. D’où la pente à s’effacer, dans un h I fonctionnement qui ne profite qu’à l’autre.
- La formule du fantasme, non seulement va être particulière, mais ses effets vont Dr compliquer de la gémellité qui en est constitutive. Sans avoir le bénéfice de la ilouble vue, il est facile de constater que dans l’objet du fantasme, le jumeau est |im lie prenante en tant qu’objet a. Mais alors, où est le sujet, où est l’objet, puisqu’il y il gémellité?
- Le signifiant, puisqu’il est différence absolue, met en cause la gémellité : c’est |iiu lui que les jumeaux ne font pas qu’un, qu’ils se supplémentent. Et dans le registre ilu signifiant, c’est parce que la mère adresse son savoir (S2) à l’autre «jumeaux», »uns le partager, que ce savoir porte chacun d’eux à devoir se déchirer s’il faut se à se partager ce qu’ils se partagent de telle sorte, que ce que l’un possède, l’autre doive y renoncer absolument, et sa vie durant. Il y a là un sacrifice.
statut de la haine dans le miroir
I ‘image en miroir est celle du jumeau. Elle est cependant sans cesse destitutive du sujet, qui n’en peut rien assumer sans désirer la mort de celui qui est supposé désirer su propre perte. Il y en a toujours un de trop : mais lequel? Et le penser pour soi, c’esl immédiatement destructeur de l’autre.
La relation gémellaire est l’exemple même du sadomasochisme. Il est même repé rable dans la posturo-motricité : elle ne vaut que par le jumeau; la motricité ne in’iil que comme objet a pour la motricité de l’autre. Le contingent perceptif lui-même s on trouve affecté, marqué, puisque le miroir chez le jumeau est purement de l’ordre de lu5 maîtrise. Les mouvements désordonnés de la jubilation, objets du cadre du miroir ! découpés par la mère, ne sont pas découpés par le jumeau non plus : c’est cela la fascination; car les objets en question maintiennent ligotés ensemble les deux jumeaux, alors comme fascinés l’un par l’autre. Du même coup, le jugement d’attribution, qui découle selon Freud du contraste entre le contingent perceptif-constant qui est le trail, et le contingent perceptif mobile inconstant qui passe par le corps, n’en est pas n’y a que maîtrise de l’image, laquelle marque le jugement d’attribution.
A quoi donc se réduit réellement la mère, dans son rapport spéculaire à sel jumeaux?
En cure, le gémellaire peut également particulariser le transfert de l’analyste, le trait peut en être gémellaire et maternel : la langue privée des jumeaux devient la langue privée de l’analyste et de son analysant qui est alors comme son double. De sorte qui la langue privée des jumeaux n’est peut-être rien d’autre que le dialecte de la langue maternelle, encore plus dépourvue d’instance paternelle. La mère qui est la leur est essentiellement imaginaire, car pour ce qui regarde la mère réelle, ils la sont l’un il l’autre : pour la vouloir imaginaire, faut-il qu’ils soient encore dans son corps à elle. 1
Le phallus?
Puisque chacun est la mère imaginaire de l’autre, chacun est psychiquement imaginaire pour l’autre, et chacun l’est à ce point que le leurre par lequel ils abusent leui mère réelle, est un leurre par lequel ils lui attribuent les ratages qui sont les leurs, ratages parfois communs, qu’en aucun cas ils ne veulent reconnaître pour n’être que les leurs {cf. «La mère et le miroir»).
L’erreur qu’elle commet, la duperie dont elle est victime, est de prendre ce leurro pour vrai, c’est-à-dire pour phallus de sa fonction maternelle : la gémellité devient donc très hystérique ; elle est ce qui donne à croire à la mère que la gémellité est pour elle son psychique imaginaire. C’est le leurre. «C’est la gloire de ma mère» dit mi analysant, en parlant du rapport que sa mère entretient avec ses deux jumeaux.
Clinique
Jumelle avec sa sœur Aurélie, Valérie n’est pas arrivée à parler correctement malgré quatre ans d’orthophonie. D’après les parents, elles se parlent sans rien dire, avec des gestes, des regards, «Nous sommes à table, dit le père, la table est rectangu laire, elles commencent à communiquer, nous sommes exclus : elles se comprenneni rien qu’à se regarder». Pendant longtemps, elles ont communiqué par écrit avec les parents. C’est l’orthophoniste qui y a mis le holà. Maintenant on n’écrit plus, on attend les mots. Par exemple, «chocolat», il a fallu un mois pour qu’elle le dise : «<;# me faisait mal au cœur de la priver de chocolat»…
Valérie parle en disant les mots les uns après les autres, sans article, sans préposi (ion; les verbes qu’elle emploie sont sans pronoms, sans flexion. Les mots sonl d’abord dits dans la bouche. Il y a un long espace entre chacun; totalement
JÉl’innmaticale, sa phrase n’en est pas une, sauf quand elle écrit : spontanément, la plmise écrite, en dehors de l’orthographe, est tout à fait correcte.
Ile parle de sa jumelle dans un vocabulaire assez conflictuel, comme si elle devait lui céder. Par exemple, sa robe est moche et elle lui écrit des lettres : « Aurélie, t’es pus belle ». Elle voudrait être «coiffeur». A cette occasion, nous parlons du miroir :peur de la fille qui marche dans le miroir, ce n’est pas d’elle qu’il s’agit, elle est lui nielle, c’est d’une fille qui lui fait peur. D’ailleurs, la nuit aussi, elle a peur du ffÎvi’, toujours le même : le chien; elle en a un qui s’appelle Gipsy; celui du rêve «’appelle Iti (ET). Il lui fait peur quand il boit de l’eau : à notre question, elle précise t|Uf c’est en ouvrant la bouche qu’il boit. Est-ce ce qu’elle regarde? Non, c’est ce entend qui lui fait peur.
Le père et la mère, qui disent qu’elle est sensible au bruit, soulignent qu’ils sont ir .U s tous les quatre dans un studio pendant deux ans, cependant ils faisaient très attention à ne pas faire de bruit.
Symptomatologie
- Même et autre
Deux jumeaux vrais, séparément, n’ont pas de ressemblance l’un avec l’autre et se montrent différents. C’est le miroir qui les rassemble et les ressemble : quand ils sont ensemble, ils sont les mêmes, séparés ils sont autres. Tout ce qui pourrait faire différence, ou briser le miroir, est alors aboli : jusques et y compris la langue. Il y a ni liarnement pour la différence quand ils sont séparés, acharnement pour la mêmeté (jlinnd ils sont ensemble.
Se lancer dans la phrase, c’est quitter le miroir : si je suis face au miroir, je ne peux ilne que les mots que je vois (exemple : les mots de la bande dessinée dans le cas i.importé).
- Pour ne pas perdre le miroir
(Ju’est-ce que les jumeaux mettent en place pour ne jamais perdre un rapport Ipéculaire? Le langage commun des jumeaux fait partie de ces manœuvres. C’est un miroir qui exclut : dans le cas de l’écriture de la lettre à sa sœur, elle crée une diffé- h’iice : ce papier fait écran entre elles, tandis que lorsqu’on est ensemble, tout est » parfait».
- Gémellité et rivalité narcissique
le peux me permettre d’être rival avec mon autre, mon frère, car il existe une diffé- h’iicc, et cette différence est même l’unique enjeu de notre rivalité. Mais quand il n’y il aucune différence, comme chez le jumeau, la rivalité ne peut être que mortelle. Le mi’ine exacerbe la haine.
Le leurre et les jumeaux
- La négation comme Bejahung
La fonction du leurre chez le jumeau se signifie de façon très spécifique par une luxation qui vaut non pas opposition entre deux termes, mais au contraire équivalence et Bajahung entre eux. Exemple : l’un est homosexuel, l’autre non. L’un ne l’est pas, l’autre l’est. Ce n’est jamais l’un sans l’autre puisque l’un vaut l’autre. Il aurait dans l’autre ce qui me manque, sous la forme de la négation que cela 1m1 manquerait, ce cela ayant à faire avec mon savoir.
- Le leurre
Le leurre qu’ils donnent à croire, ce serait celui d’un rapport absolument pacifique à l’autre. Paradoxalement, ils feraient l’absolue fraternité qui… n’en serait absolu* ment plus une; ceci évoque l’Héautoscopie, symptôme où le sujet se voit lui-même brusquement en face de lui-même. Dans la lettre dictée de notre observation, la dif» rence s’introduit tout en maintenant le rapport réel strictement spéculaire. Ce qui est périlleux, c’est le retour à l’envoyeur qui n’est rien d’autre qu’une haine adressée,: Pour évider ou éviter la différence, pourquoi ne pas être débile, pourquoi ne pas sfl passer de tout savoir, et même de toute langue?
Quand l’image n’obéit plus
Quand il n’est pas là, l’autre est toujours absolument dissemblable : et même celte dissemblance est imputée au jugement de l’autre. En effet, ce qui est tellement insupportable, c’est que la séparation puisse briser la gémellité spéculaire : ce que le père dans cette observation avait bien compris, quand il précisait les places immuables autour de la table : le père en face de la mère, le face à face des jumelles. Il tentaii ainsi de contourner la différence dépressive; dépression comparable à celle que Lacan décrit dans la relation d’objet [46], lorsque dans l’image spéculaire la mère n’obéit plus, désobéissance qui confronte l’enfant à son impuissance.
En précisant les places de chacun, le père :
- Rétablit dans le miroir l’image réelle et non virtuelle.
- Évite la dépression produite par l’image quand elle n’obéit pas. Dès lors le jumeau dominé (obéissant) est celui qui a le plus peur de se déprimer.
- L’étiologie de la gémellité, c’est la phobie de la dépression.
De sorte qu’on peut avancer que la gémellité, c’est la peur de la dépression. Nous touchons ici à la formule du fantasme d’une mère qui désire des jumeaux : son objel — les jumeaux — est l’objet conjuratoire, exorciste de la dépression. La gémellité esi l’objet contra-phobique de la dépression.
Débordement par excès d’images
Enfin les jumeaux débordent la mère, mais l’on conçoit qu’elle ait une raison d’abandonner sa place de fonction : elle ne peut que difficilement fournir. Ce jeu de la différence et ressemblance se retrouve dans l’intention supposée à la mère de faire la différence entre l’un et l’autre. Il s’agit là d’un procès sans nuance, et du coup ou reste toujours dans la gémellité ; l’opposition n’a pas son pareil.
Dans ce débordement de la mère, on peut repérer un véritable excès d’images : passage dans le spéculaire de ce qui ne l’est pas; la posturo-motricité de l’enfant pai exemple, normalement hors du cadre du miroir, devient spéculaire dans les cas des maladies organiques où le handicap est visible par la mère. Mais dans les cas où les objets partiels représentent partiellement des fonctions qui ne se voient pas, la mère
Ml dle-même la fonction. Si ces objets partiels sont les siens, c’est dans le miroir de lu mère qu’ils sont visibles, qu’ils sont spécularisés. On en revient au cas du jumeau lili le trou dans le miroir de la mère est constitué de l’image du jumeau, et devient éventuellement visible dans le jumeau comme miroir. Nous pouvons alors mieux niiiiprendre en clinique le paradoxe des jumeaux qui arrêtent leur analyse, car il »’n^it de celle du jumeau. De sorte qu’ils n’ont plus rien à dire, car rien n’est plus pensable par manque d’image, d’image de même.