La construction théorique : la métapsychologie freudienne
Pourquoi une « métapsychologie » ? Freud veut distinguer sa théorie de la psychologie classique, de son approche essentiellement descriptive. L’hypothèse de l’inconscient ouvre de nouveaux horizons qu’il compte bien exploiter. La métapsychologie se caractérise par une théorie qui combine trois points de vue : topique (une structure spatialisée du fonctionnement psychique), dynamique (l’organisation psychique est fondamentalement conflictuelle, confrontant l’individu et son environnement), économique (le fonctionnement psychique est alimenté par une énergie, il a donc aussi une dimension quantitative).
Nous aborderons quelques-unes des principales notions développées dans cette métapsychologie. Nous laisserons pour la quatrième partie de cet ouvrage les développements apportés par les auteurs successifs, afin de nous centrer sur les fondements apportés par Freud.
L’inconscient
Depuis l’Antiquité les philosophes ont attiré l’attention sur le fait qu’une partie de notre vie psychique nous échappe, sort du contrôle du Moi : ils ont ainsi distingué le conscient et l’inconscient (ou encore le subconscient comme certains l’appellent). Ce dernier se définit comme le négatif : ce qui n’est pas conscient. Mais l’observation montre que ce qui n’est pas conscient pour nous à un moment donné, peut l’être à un autre moment, ou lorsque nous faisons l’effort de retrouver ces éléments qui nous ont passagèrement échappé. Toute notre vie quotidienne est tramée de ce jeu entre conscient et inconscient. Pour que nous puissions avoir la maîtrise de ce qui nous arrive, ou du travail et des pensées présentes, il faut bien sûr que les éléments utiles soient conscients. La mémoire joue un grand rôle dans cette alternance d’états conscient/inconscient des éléments (pensées, souvenirs, images, sentiments, désirs, etc.) qui habitent notre vie psychique.
Qu’est-ce qui change avec Freud ?
Freud n’a pu se contenter de cette conception de l’inconscient. Trop de choses échappent à notre conscience et pas seulement par un « trou » de mémoire passager ! Et puis, on peut remarquer que, dans certaines circonstances, ce qui nous échappe n’est pas indifférent et semble justement avoir un lien significatif avec ce que l’on est en train de dire.
Il y aurait donc comme un processus actif qui rendrait inconscients certains éléments. On doit alors se demander pourquoi et comment agit ce processus. Pourquoi a-t-on oublié un nom ? Un rêve ? Un souvenir ? Voire un traumatisme. Et comment, dans ce dernier cas, peut-on oublier quelque chose qui nous a si violemment marqué ? Freud est le découvreur d’un autre inconscient que le non-conscient (qu’il nomma le préconscient), un inconscient qui est le fruit d’un conflit psychique et qui est produit activement par un processus appelé le refoulement. Les éléments inconscients ont donc une histoire que la méthode de l’interprétation psychanalytique se propose de retrouver.
Le refoulement
C’est une façon de se débarrasser d’éléments indésirables. Freud donne l’exemple du conférencier qui, se trouvant perturbé au cours de son discours par un auditeur qui l’interpelle et l’agresse, ne se résout pas à lui laisser la parole. Le conférencier demande aux organisateurs de faire sortir l’importun. Mais une fois dehors ce dernier fait du bruit, tambourine sur les portes, ameute les gens. Par ce bruit il dérange encore plus le conférencier qui, finalement, demande aux organisateurs de s’en occuper. Ceux-ci tentent de négocier avec l’importun. Il restera dans la salle mais n’interviendra plus de façon intempestive. Cette métaphore illustre très bien le projet psychanalytique : considérer qu’il vaut mieux prendre conscience de ce qui perturbe, irrite, agresse de l’intérieur, en tentant de lui trouver une place, plutôt que de vouloir s’en débarrasser en le rejetant à l’extérieur, ou en tentant de l’ignorer (« je ne veux pas le savoir… »). Il est illusoire de penser qu’il suffit de fermer la porte !
Mais s’il y a refoulement, qui décide de refouler ? Qui censure ? Pour répondre à cette question il faut aborder la conception que Freud met progressivement en place de ce qu’il appellera l’« appareil psychique ».
L’appareil psychique
Il s’agit d’un modèle qui tente de rendre compte de la complexité du fonctionnement psychique. Avec ce terme qui fait penser à la mécanique, Freud s’appuie sur plusieurs comparaisons, avec des instruments physiques, optiques (le microscope, le télescope, par exemple). Mais il fait aussi, à d’autres moments appel à la biologie, à la neurologie (le modèle de l’arc réflexe…). L’idée est celle d’une organisation, d’un espace et d’un temps psychiques, de lieux différenciés (notamment entre ce qui est conscient et ce qui ne l’est pas), d’assemblages de parties, de l’existence de traces psychiques, de superposition de couches, de strates (comme dans la mémoire), de mise en relation, en circulation, d’une énergie qui se transmet, se transforme, etc. Ce modèle doit pouvoir rendre compte de mouvements progressifs mais aussi de mouvements régressifs.
De plus, la notion d’appareil était couramment utilisée à l’époque où Freud met en place ce modèle. Or l’inconnu est de taille : il s’agit de trouver un modèle pour tout ce qui se passe entre le cerveau et la pensée consciente. Nous aborderons l’organisation de cet appareil à partir d’une réflexion sur un de ses moteurs, le concept de Moi.
Le Moi
Freud révolutionne la conception du Moi en mettant à mal la maîtrise, la conscience et la synthèse, attributs qui le caractérisaient. Le Moi en sort quelque peu affaibli. Freud considéra comme une des grandes blessures narcissiques de l’être humain le fait que celui-ci réalise que tant de choses lui échappent, et pas seulement de l’univers, mais surtout une grande partie de lui-même !
La tradition philosophique a fait du Moi un synonyme de la conscience, ou plus largement, de la personne humaine. Dans un premier temps Freud conserve au Moi sa qualité de siège de la conscience. Il distingue donc le conscient et le préconscient de l’inconscient (ce dernier échappant au Moi). Mais en 1920 il doit revenir sur cette notion pour rendre compte d’une situation plus complexe. Le Moi est alors une instance psychique dont une partie reste inconsciente, et dont la partie consciente est tournée vers la réalité du monde extérieur (aspect qui sera particulièrement développé par la suite par sa fille Anna Freud, et le mouvement de l’ego psychology, ou psychologie du moi).
Les précurseurs
Le conflit psychique
Avant Freud, Wilhelm Griesinger (1817-1869), devenu en 1860 le premier directeur du nouvel établissement psychiatrique de Zurich, le Burghôlzli, est l’un des premiers psychiatres à considérer l’importance de l’activité inconsciente. Il conçoit le Moi en conflit avec des éléments inconscients du fonctionnement psychique.
Son élève Theodor Meynert sera lui-même un des maîtres de S. Freud. Il propose de considérer la dualité du Moi entre un moi primaire infantile et un moi secondaire lié à la conscience. Freud s’inspirera et de la notion de conflit psychique entre conscient et inconscient et d’une distinction entre primaire et secondaire, qu’il appliquera aux processus psychiques. Toute son élaboration théorique est fondée sur une conception conflictuelle entre le Moi et les autres instances, parties du fonctionnement psychique, d’une part, et entre le Moi et la réalité extérieure, d’autre part. Le Moi aura à développer des mécanismes de défense contre l’angoisse suscitée par ces différents conflits.
Avec l’éducation, une partie du Moi devient une instance morale, par identification aux personnes ayant autorité sur l’enfant, et source d’autocritique : c’est le Surmoi. Le Moi semble justement s’être constitué à partir des identifications. Le Moi s’approprie des caractéristiques des objets perdus ou abandonnés. L’identification au père, plus largement aux figures parentales, est constitutive de l’idéal du Moi/Surmoi. Les qualificatifs d’idéal et de « sur » marquent bien cette supériorité morale.
Freud distinguera encore le Moi idéal, comme étant l’idéalisation de sa propre personne, toute puissance narcissique infantile (pour Lacan il trouve ses racines dans le miroir, nous y reviendrons). Le Moi joue le rôle de pivot entre les excitations venues de l’extérieur, et celles venues de l’intérieur, entre les passions du Ça qui répondent au principe de plaisir et le principe de réalité.
Le cavalier et sa monture
Malgré la force physique et instinctive du cheval, le cavalier doit jouer son rôle de conducteur… C’est la métaphore que Freud propose concernant le Moi. Freud désolidarise progressivement le Moi de la conscience. Le Moi n’est plus maître chez lui ! Il lui faudra s’approprier ces forces obscures pour pouvoir les utiliser à bon escient. Une partie du Moi elle-même résiste à la conscience. Le Moi se trouve donc comme clivé avec une partie consciente et une partie inconsciente. De ce fait il participe activement à ce conflit interne. Tandis que l’on peut encore distinguer cette partie non consciente mais restée, elle, disponible, le préconscient.
Le Moi est fondamentalement lié au corps, à ses besoins, à ses systèmes perceptifs. Il se retrouve donc à devoir « servir trois maîtres » : le Ça, le Surmoi, et la réalité du monde extérieur. Cette proximité du Moi avec la part inconsciente du fonctionnement psychique s’observe, par exemple, lorsque pris dans une activité intellectuelle, il se trouve que la solution que nous cherchions nous vienne soudainement dans le sommeil, en rêve, ou bien encore au cours d’un état de flottement, de rêverie diurne, par exemple.
En quoi cet oubli est-il significatif ? Il signe, dans ce cas, les difficultés de relations entre les acteurs du soin et les rouages administratifs. L’ambivalence d’André se manifeste ici entre le souci que tout fonctionne bien et le risque de bureaucratisation, risque perçu d’un pouvoir du pôle administratif jugé trop fort.
« Wo es war soit ich werden »
(Où était le Ça doit advenir le Moi)
Cette formule de Freud rend bien compte de ce caractère de conflit et de combat entre le Moi conscient et le reste du fonctionnement psychique. La psychanalyse offre la possibilité de prendre soin du Ça pour dégager, libérer le Moi d’une partie de ses défenses devenues inutiles.
L’inconscient ne se définit plus simplement par ce qui n’est pas conscient (le préconscient freudien), il est le produit d’une activité psychique conflictuelle, dynamique, incessante, indispensable au bon fonctionnement psychique. L’objectif ne peut donc être simplement de supprimer l’inconscient. L’inconscient n’est pas non plus la source des pathologies, il est un rouage du fonctionnement psychique normal. Mais il peut prendre une place et une importance excessives jusqu’à déborder les capacités de contenance du Moi. C’est le cas dans les pathologies névrotiques et, plus encore, dans la psychose.
Le principal processus constitutif de l’inconscient au sens freudien est le refoulement. Et c’est l’objectif de la technique psychanalytique que de lever le refoulement d’une partie du matériel
inconscient, de permettre à la conscience de le réintégrer. Pour cela il faut tout d’abord arriver à vaincre les résistances que le Moi oppose au retour de ce matériel.
Malchance direz-vous ? Cette répétition interroge sur le désir de Hamed par rapport à cette situation, sur le sens qu’elle a pour lui. Dans de telles circonstances, on peut avoir l’impression que c’est plus fort que nous… L’objet de l’analyse est alors ce qui là, justement, nous échappe, tout en étant partie de nous-mêmes.
Le Surmoi ou Idéal du Moi
Il est l’héritier du complexe d’Œdipe, de ce moment identificatoire essentiel du développement de l’être humain, et résulte de la nature bisexuelle de l’individu. L’identification au père ou à la mère, au cours de ce complexe, dépend ainsi des dispositions sexuelles féminines et/ou masculines de l’individu. Pour être ainsi idéalisée la figure d’autorité, la figure paternelle est sublimée et ne bénéficie plus de l’investissement libidinal, c’est ainsi que l’on peut arriver au cas de figure où la pulsion destructrice est seule aux commandes d’un Surmoi dictateur… Le Surmoi, conscience morale, se traduit en injonctions, interdictions encore renforcées par l’instruction religieuse, l’apprentissage social, l’enseignement, les figures de l’autorité rencontrées au cours de l’éducation. Il est ainsi à l’origine du sentiment de culpabilité.
Le conflit psychique n’est donc plus seulement entre le Moi et les pulsions, le Ça, mais entre le Moi, force d’adaptation à la réalité extérieure, et le Surmoi constitué de ces exigences intériorisées au cours de l’histoire de l’individu. Dans certains cas ce processus d’intériorisation peut ne pas réussir comme, par exemple, chez certains criminels qui semblent n’avoir aucun sens moral. Le Surmoi a tendance à s’opposer au Moi, gardant ainsi la force de domination qui correspondait à l’état du jeune enfant, faible et totalement dépendant de son environnement. Le Surmoi continue de mettre la pression…
Il peut ainsi y avoir résistance au progrès et au bien-être personnel, voire même résistance à la guérison, par un sentiment de culpabilité maintenu par le Surmoi et qui interdit de trouver du plaisir, oblige à maintenir la souffrance comme punition nécessaire. Toutefois le sujet n’est pas lui-même conscient de ce mécanisme. Dans la névrose obsessionnelle, par exemple, le Surmoi agit avec une sévérité impitoyable, mais le Moi cherche à s’en défendre, tandis que l’hystérique n’a pas conscience d’un tel sentiment de culpabilité. Dans le cas typique de la mélancolie le sujet est totalement dominé par le sentiment de culpabilité, et la pulsion destructrice, la pulsion de mort, peut le conduire jusqu’à l’autodestruction.
Les lieux psychiques
Freud met ainsi en place un modèle du fonctionnement psychique sous la forme de plusieurs instances distinctes que l’on pourrait se représenter dans des espaces différents, d’où le terme de topique (conception des lieux psychiques) utilisé par lui et ses successeurs. C’est tout d’abord la distinction relative au niveau de conscience : le conscient, le préconscient et l’inconscient. Puis, réalisant que l’inconscient est difficile à circonscrire de cette façon, il propose sa deuxième topique (en 1920) qui distingue des instances en conflit : le Moi, le Surmoi et le Ça, en conflit entre elles, mais aussi avec la réalité extérieure. Le Moi étant l’instance régulatrice entre l’intérieur (et les exigences pulsionnelles) et l’extérieur, la nécessaire adaptation à la réalité.