Histoire des idées qui ont mené à l’éthologie de l’autisme
L’autisme infantile est un paradigme de l’observation éthologique, à cause d’une phrase tragique prononcée par un éthologue dans les années 70 : «on ne peut faire l’éthologie que de l’homme sans parole ». Cette phrase nous conseillait de faire l’éthologie du poisson hors de l’eau, ce qui est le contraire de l’éthologie qui doit observer comment un organisme vit dans son milieu habituel.
Aujourd’hui, l’éthologie rend observable et manipulable comment l’apparition de la parole modifie l’usage du corps, sa fonction et même son façonnement. Ce qui n’empêche, qu’à cause de cet a priori théorique, les premiers travaux d’éthologie humaine se sont intéressés aux enfants sans parole, c’est-à-dire, les enfants préverbaux (prématurés et nourrissons) et les enfants a-verbaux (enfant abandonnés au point d’être privés d’alentour langagier, et enfant autistes).
Anna FREUD et Dorothy BURLINGHAM avaient recueilli, à la nursery d’Hamstead, des petits enfants dont les parents étaient morts sous les bombardements de Londres. Elles avaient lié les troubles du langage (mutisme et retard) et l’augmentation des comportements autocentrés (auto contacts, balancements) qui disparaissaient dès qu’on s’occupait de ces enfants.
En 1945, SPITZ décrit l’hospitalisme, le retard staturo-pondéral, la morphologie des carences affectives, la mauvaise maîtrise manipulatoire et les troubles du langage ou même sa non- apparition chez certains enfants privés de relations humaines. Le concept freudien d’« Anlehnungstypus der Objektwahl » qui devrait être traduit par « le chemin vers un objet et n’a pas de support sur lequel se reposer» est traduit par le mot « anaclitisme ». Les auteurs anglais le traduisent par « être attaché à…être basé sur…prendre appui sur… », ce qui est un concept totalement éthologique.
Et le contresens persévère quand des primatologues et des éthologues animaliers isolent, en situation expérimentale dite de Gaspard Hauser, des singes et des chiens, pour en arriver à la conclusion suivante : tout être vivant qui génétiquement a besoin d’un autre pour poursuivre ses développements devient autiste quand il est privé de cet autre.
Il est un fait que l’analogie comportementale est troublante. Chez toute espèce nidicole qui a besoin d’un autre pour poursuivre ses promesses génétiques, l’isolement sensoriel produit toujours le même scénario ontogénétique.
D’abord quête hyperkinétique d’un substitut envers lequel ils manifestent des comportements d’hyperattachement, hypercontacts, hyperflairage et hypercris. Puis graduellement quand ils ne trouvent pas de substitut, restriction spatiale, diminution des cris, repli sur soi postural et augmentation des activités autocentrées descriptibles et chiffrables : auto-contacts, balancements, auto-caresses, auto-agressions, auto-flairages. Enfin, stade ultime, dit catatonique : l’animal se laisse mourir au milieu des victuailles, s’il a perdu l’étayage qui lui permet d’aller vers son autre.
Nos enfants, parfois à cause de troubles parentaux, mais le plus souvent à cause de fracas politiques, quand ils sont placés en situation de privation sensorielle très importante et durable, manifestent un tableau étonnamment comparable à celui décrit par SPITZ, avec les stades de protestation, désespoir, détachement et (ce qu’on oublie régulièrement) réparation.
John BOWLBY alors recense les travaux sur ce sujet et souligne que des cliniciens comme Myriam DAVID et Geneviève APPEL ont décrit cette proximité comportementale. Il cite BETTELHEIM qui soutient que les enfants autistes ont manqué d’interactions sociales précoces (Anlehnung) et ont abandonné les actions dirigées vers un but (Objektwahl)… ainsi que la prévision.
Mais BOWLBY précise qu’à cette sémiologie t comportementale, on peut ajouter des manipulations expérimentales, des expériences discrètes (TINBERGEN) comme lu « strange situation » de Mary AINSWORTH.
Il s’agit là d’une « étonnante convergence », où certains psychanalystes, sensibles à un langage sans mots côtoient les éthologues qui possèdent une réflexion phylogénétique et ontogénétique, une description sémiologique comportementale (de tout être vivant, comme de l’Homme parlant), et des expérimentations qui permettent de préciser la structure, la fonction, la cause et les effets d’un comportement.