Du magnétisme à l'hypnose et à la suggestion
C’est à Franz Anton Mesmer (1734-1815) que l’on doit l’introduction du magnétisme dans le traitement psychiatrique. Psychiatre autrichien, d’origine allemande, Mesmer affirme en 1773 que les maladies mentales sont dues au déséquilibre d’un fluide qui se trouve dans l’organisme humain (comme aussi chez l’animal). Sa première expérience est réalisée sur une malade hystérique. Il donne une assise plus rationnelle à ces phénomènes en les expliquant par la physique magnétique, le pouvoir d’attraction de l’aimant.
Freud reprend ces travaux dans la réflexion qui le mène de l’hypnose, à la suggestion et à sa propre technique dans laquelle la relation au thérapeute se dégagera progressivement jusqu’à prendre la place centrale. Il propose les notions de transfert et de contre-transfert pour rendre compte de ce qui se joue entre deux subjectivités dans cette situation particulière.
Jean-Martin Charcot (1825-1893) et Sigmund Freud
Freud, la trentaine, étudiant en médecine obtient en 1885 une bourse pour un stage de huit mois à l’hôpital de la Salpêtrière dans le service de neurologie du Dr Jean-Martin Charcot (il créa la première chaire de neurologie). Il assiste aux séances de démonstrations spectaculaires qui y ont lieu tous les mardis pour un public d’élèves, disciples et autres médecins. Il s’agit de patientes hystériques qui, sous hypnose, sont amenées à révéler le mécanisme des accès hystériques, notamment les paralysies incompréhensibles, car souvent très invalidantes et pourtant sans cause organique. Freud est impressionné par ces manifestations. Tandis que Charcot lui communique ses observations sur l’importance des chocs affectifs et des troubles de la sexualité qu’il pense trouver à l’origine de cette pathologie.
Mais qu’appelle-t-on hystérie dans le vocabulaire psychopathologique ? Il s’agit d’une forme de névrose dans laquelle le conflit à tendance à se manifester de façon symbolique (par exemple dans une utilisation inconsciente du corps et du symptôme somatique) et en empruntant souvent des aspects théâtraux. Les formes les plus courantes sont l’hystérie d’angoisse (centrée sur la phobie) et l’hystérie de conversion. Très fréquente à l’époque de l’invention de la psychanalyse, cette névrose n’a plus actuellement la même place dans la psychopathologie contemporaine où sont apparues de nouvelles formes de pathologies regroupées sous le terme général de « pathologies limites ».
On parle de conversion pour rendre compte du fait que le conflit psychique est transposé en un symptôme somatique : le patient souffre de paralysie, de douleur, etc., et non d’angoisse – trouble psychique initial. Ce symptôme reste inexpliqué d’un point de vue médical. Ce qui caractérise ce type de symptôme, c’est qu’il a une forte valeur symbolique, contrairement à d’autres somatisations restées plus proches de la réalité matérielle des maladies organiques. Un de ces symptômes très courant est, par exemple, l’aphonie liée à une situation relationnelle particulièrement importante pour le sujet.
Freud se trouve confronté au « génie » de Charcot, tandis qu’il se considère lui-même comme timide, embarrassé, avec une faible estime de lui. Il observe avec envie l’ascendant, l’autorité et l’assurance du maître, alors au sommet de sa carrière. Charcot siège à l’Académie des Sciences, la plus haute instance scientifique de l’époque. Ce chef d’École est d’ailleurs surnommé par certains « le Napoléon des névroses ». Ce grand maître exerce un pouvoir de fascination bien utile pour ses expérimentations et démonstrations d’hypnose.
Charcot eut une carrière brillante, il eut la chance d’avoir pour maître et pour soutien personnel le propre médecin de Napoléon III, le professeur Rayer, aussi doyen de la faculté de médecine. De plus, grâce à la fortune personnelle de sa femme, Charcot a pu s’ouvrir au monde des artistes, collectionnant des oeuvres, organisant conférences et réceptions. Il se trouve bénéficier, en France, du triomphe de la IIIe République, de son programme de laïcisation des hôpitaux, arrachés ainsi au pouvoir de l’Église. Charcot analyse d’ailleurs les comportements d’extase et de possession religieuse à la lumière de ses observations sur les hystériques. Il participe plus largement à la politique, en préparant, notamment, l’alliance franco-russe.
A l’opposé, Freud édifie son œuvre à partir d’une situation de crise personnelle, professionnelle, sociopolitique (l’Empire austro-hongrois affaibli, résigné). Il se réfugie dans l’auto- analyse. De plus, son origine juive le situait dans une certaine marginalité. C’est ainsi que, malgré le succès de ses travaux, il devra attendre 17 années avant d’obtenir la chaire à la faculté de médecine tant convoitée par lui.
A son retour de Paris il occupera pendant une dizaine d’années un poste de médecin attaché à un hôpital pour enfants et ouvrira un cabinet privé. C’est une période où il se trouve freiné, frustré professionnellement. Dans un environnement vécu comme hostile il se concentre sur l’exploration du monde intérieur, avec l’analyse des rêves, des conflits et drames psychologiques. Le conflit entre père et fils, au centre de sa théorie de l’Œdipe, peut être interprété comme un substitut aux conflits politiques de la sphère sociale.
Freud découvre Paris et les gargouilles de Notre-Dame. Il aimera s’y promener, parmi monstres et diables. Ce bestiaire constitue pour lui comme une illustration des figures de l’inconscient. Il ne se trouve donc pas si loin d’un Charcot passionné, lui, par les grimaces des possédés ! La technique de l’hypnose, après une période florissante, à la fin du XIXe siècle, a été mise à l’écart, notamment par le succès de la psychanalyse, mais est revenue sous une autre forme, dans les années soixante-dix, la sophrologie (avec Caïcedo et Chertok, notamment), utilisée dans un cadre strictement médical (particulièrement en dentisterie) pour traiter la douleur. Plus récemment, l’hypnothérapie est réapparue dans le cadre des psychothérapies.
Malgré tout il y a des personnalités réfractaires à toute suggestion hypnotique, et c’est ce qui a freiné son développement. Il a aussi été question des limites d’une telle influence et des dangers possibles, en raison, notamment, de l’état de totale dépendance dans lequel est mis le sujet. L’observation clinique a montré que les sujets résistent à des suggestions qui touchent à leur intimité et à leur moralité.
Charcot découvre la possibilité de produire expérimentalement, sous hypnose, un accès d’hystérie dont il va ainsi pouvoir analyser les composantes. Il distingue quatre phases successives :
- la phase épileptoïde ;
- la phase des grands gestes ;
- la phase des attitudes passionnelles (phase hallucinatoire) ;
- le délire terminal.
C’est au cours de la troisième phase, que se produit selon lui la reproduction du souvenir de la scène liée au traumatisme. Mais si l’hystérie se manifeste par ces accès – plus fréquents à la période freudienne que maintenant – elle se manifeste aussi par îles symptômes permanents. Si certaines thérapies préconisaient à l’époque de tenter de supprimer ces représentations par îles suggestions médicales, avec l’hypnose le but est de ramener Ce souvenir à la conscience normale.
Freud prit fermement position pour souligner l’importance des facteurs psychologiques, même s’il n’a jamais abandonné totalement l’éventualité que ces derniers se trouvent associés à des facteurs organiques encore à découvrir. C’est d’ailleurs après s’être intéressé très précisément au système nerveux central et au fonctionnement des neurones dans sa fameuse Esquisse d’une psychologie scientifique, qu’il se tourna de façon déterminante vers les facteurs psychologiques.