C’est seulement avec maman
- L,’énigme
S’il était lui-même sans butée, cet imaginaire n’augurerait rien de très bon pour I niIvenir de Séraphine; mais dans le dernier fragment de son discours, la folie
conjoignant père et mère se métamorphose heureusement en un point d’arrêt : une énigme, témoignant d’un refoulement et de ce qui peut en faire retour, mais cette fois ilt’placé sur une interrogation. Cette interrogation reprend, mais pour en faire énigme, li ‘signifiant sérieux, signifiant qui semble avoir perdu la négation propre à lui faire perdre raison : il est très sérieux ce père avec sa femme; il sait sérier, faire série, im mire date; le signifiant marque alors l’inscription dans le temps, dans la diachronie.
- Le sérieux de l’énigme et son enjeu
Serait-ce de le sexualiser, que ce signifiant ne présenterait plus rien qui fasse rire, mi puisse faire l’objet d’une plaisanterie? Dans la leçon du 5 Mars 1969 de son Sémi- n,me «d’un Autre à l’autre», Lacan [38] nous permet de répondre plus sérieusement
a cette question, en disant : «c’est parce que, comme le dit Freud, l’énigme est là de savoir ce que veut une femme, ce qui est une façon tout à fait déplacée d’épingler ce qu’il en est , dans l’occasion, de sa place, que prend valeur ce qu’il en est de savoir ce que veut l’homme». Voilà ce qui fait déjà énigme pour Séraphine : que veut une femme, sa mère, et que lui veut son père? Et que lui veut-on à la fin, à elle aussi? Dans l’énigme qui se pose pour elle, elle est engagée parce que cette énigme vaut pour elle vérité : tout son advenir y trouve son enjeu. Et cet advenir ne se limite en rien pour elle au souci qu’ont sans cesse ses parents de vouloir que leurs enfants comptent parmi les meilleurs, figurent dans le peloton… de tête.
- L’amère copine
Sans doute est-ce pour cela que comme par boutade elle lance, sans en avoir l’air, sans avoir l’air d’y toucher, que sa mère n’est pas la copine de son père : «alors là, oui, c’est pas comme avec mes copines, il rit plus». Entre son père et sa mère, ce n’est pas bi-univoque, c’est plutôt dysharmonieux même, mais du coup, ça peut certes faire série. La bi-univocité n’est pas un trait : c’est plutôt, au sens que cela pourrait peut-être prendre en topologie, une dé-tresse. Dans ces conditions alors, afin de rester sa copine, ne vaut-il pas mieux ne rien lui demander?
- La fin deux-non recevoir
C’est en ce point de la demande que les choses balancent pour elle : s’amarrer au signifiant copine, pour jouir de la bi-univocité qu’il porte en lui, ou bien le larguer pour le perdre, et courir le risque du jeu de la demande, laquelle «non non» puisque c’est ainsi qu’elle la nomme, implique intrinsèquement une Verneinung, c’est-à-dire une fin de non (ou deux non) recevoir possible.
«Par suite d’encombrement, votre demande ne peut aboutir» entend-on quelquefois, après avoir composé le numéro téléphonique d’un service susceptible de répondre à la demande. Ce qui fait négation intrinsèque à la demande, ce n’est pas seulement qu’elle puisse ne pas aboutir, qu’elle soit adressée au mauvais moment, le moment de l’encombrement ou celui de l’évidence : c’est aussi qu’elle soit signifiante du manque à savoir, renvoyant de la sorte le sujet qui l’adresse à l’objet a tout autant qu’à l’énigme de sa jouissance, qui n’est justement pas relative à la satisfaction d’un besoin.
- La dysharmonie
Toujours dans la même leçon du même Séminaire, Lacan déclare : «l’inconscient porte la marque du a au niveau où manque le savoir», comment mieux dire que la dysharmonie est la marque de l’objet a, et que l’inconscient manque d’harmonie? Le savoir qui manque réfère à deux termes en opposition : l’absolu de la jouissance, et le désir en tant que manque d’Un. Se confronter à la demande, suppose aussi de renoncer à ce qui pour un peu ne ferait jamais entrave à ce Un.
- L’impossible harmonie de la bi-univocité
Pour Séraphine, Aline ne viendrait pas à la fête, parce que fête il y a : il y a fête, pour faire venir Aline; en la première occurrence Aline est tenue de venir : elle I doit car c’est sa fête, et du coup celle de Séraphine. Bref, c’est leur fête comme une Telle est la bi-univocité relationnelle.
- La bi-univocité
Avoir et Etre
Avoir et être chez l’enfant. L’enfant exprime volontiers sa relation à l’objet au travers de l’identification : je suis l’objet. L’avoir qui est postérieur, retombe après la sein .Ultérieurement seulement :je l’ai,c’est-a dire je ne le suis pas <dans ce texte Freud dialectise • de l’objet dans l’être. Exemplaire : sein. Le sein est un fragment de moi, je suis Ultérieurement seulement : je l’ai, c’est-à-dire je ne le suis pas…» Dans l1»’ texte Freud dialectise l’Être et l’Avoir à deux temps logiques successifs : le l’identification, est le temps attributif de l’être; le second, sa négation, est le if Mips attributif de l’avoir. De l’Être à l’Avoir ainsi dialectisés, la négation ne porte tin I identification pour lui faire perdre son objet au profit de l’Avoir, que pour iliiniier consistance à l’Être, l’Avoir pouvant alors équivaloir à ne F Être pas.
S’identifier à et s’identifier le
Mais tout autant l’enfant s’identifie-t-il l’objet, qu’il s’y identifie; il se l’identifie par incorporation, laquelle est dissociative de tout ce qui lui demeure lit il s corps. L’identification à l’objet dont traite Freud, n’est que seconde par rapport à incorporation qui la conditionne et sans laquelle elle ne peut se produire.
L’incorporation et son présupposé, la bi-univocité
Cette incorporation elle-même suppose que soit réalisée une bi-univocité qui l’anticipe, et qui permet au sujet d’établir entre le moi naissant et un objet qui lui est extérieur, un rapport par lequel ce moi en conserve en lui présente l’image, faute de quoi il s’abîmerait dans un néant d’Autre sans fin.
Le moi, l’image bi-univoque, et son objet réel
Il faut encore approfondir, et aller jusqu’à soutenir qu’au début le moi lui-même l’image bi-univoque de l’objet extérieur, l’une et l’autre se trouvant en parfaite spécularité.. Ce n’est qu’ensuite, lorsque de l’objet réel une inscription signifiante se produit, par incorporation de quelque chose de bi-univoque, que cet objet se dissocie du moi, se morcelle, se perd définitivement avec son image ou devient classificatoire Rit si-us que lui donne Freud; la spécularité peut alors ainsi progressivement faire place à du non-spéculaire.
L ‘incorporation signifiante
Comment une image peut-elle être incorporée, pour produire d’un objet une signifiante? Elle le peut en ceci qu’une image n’existe pas par elle- même: croire à son existence propre, équivaudrait à vouloir régler son compte à I objet a en lui donnant pour nom : image. Or une telle nomination serait tout aussi Mllilliaire et absurde qu’une autre. Une image n’est jamais l’objet a, elle n’en est i|nUn discours, un discours qui peut en faire image, mais un discours-toujours…
C’est d’ailleurs parce que le voir peut de la sorte être écouté, que du phonème de sa h lin- peut s’en inscrire quelque chose de signifiant, signifiant auquel à tort ou à raison le sujet devra toujours obéissance.
- Mais qu’avez-vous donc dans le ventre?
Séraphine déclare un jour être grandement gênée, indisposée, par ce qu’elle a il.uis la gorge et dans le ventre. «Mais qu’avez-vous donc en travers de la gorge,
qu’avez-vous donc dans le ventre?» Elle répond qu’elle n’en peut absolument rien dire, mais qu’elle pourrait en dessiner quelque chose. Elle fait donc un clin d’œil transférentiel et en propose l’objet. Elle produit alors deux dessins; ils sont’ composés : de bonshommes avec tantôt une bouche sans oreille, tantôt une oreille sans la bouche; de maisons avec portes et fenêtres; d’une échelle; de traits de couleur de travers, de guirlandes et d’arabesques; le tout avec pour encadrés, donc j pour bulles ou légendes : « marbi ; 2 ; z. ; je ; ille ; parbi ; marbiz ».
- Il n’y a pas de rapport analytique entre un dessin et une écriture
En dehors d’une série, deux dessins ne sont pas lisibles, ne disent que ce que l’enfant en exprime verbalement; mais elle n’en dit rien. Si ces dessins peuvent êtri symboliques d’un originaire passage à l’écriture, nous disons bien passage, ils n’en sont pas une pour autant : l’analogie entre le dessin et l’écriture est impossible; s’ils peuvent être confrontés, comparés, ils ne sont en rien analogue. L’analogie serait en l’espèce du même genre, du même ordre que voiture = pénis! Mais s’ils sont difficilement lisibles, il est évidemment toujours possible d’en imaginariser quelque chose. Par exemple, de façon épistolaire :
«Ille, marbi 2,
mqrbi
Je par
biz
z. »
Ou bien encore, en proverbe :
«Les bons homes n’ont bouche, et oreille».
Et enfin, par étonnement :
« Mais on porte, et fait naître ! »
Le psychanalyste ce faisant ne manque pas de panache; il manque cependant le plus important.
- L’inscription signifiante se donne à lire
Car de quoi s’agit-il essentiellement, avec ces lettres tout aussi désaccordées qu’assemblées, et dont la combinaison imaginaire peut faire sens à l’infini? Il s’agit de rien de moins que d’inscriptions signifiantes, faites à partir de ce qui en vaut image, et qui est le dessin proprement dit, lequel dessin est dans un rapport bi- univoque avec les choses qui s’y trouvent dessinées, et qui sont réelles et non pa: uniquement figuratives. Les encadrés ou les bulles, sont des bouches grande ouvertes, qui incorporent de cette image à laquelle correspondent des objets bi-univO’ ques, les signifiants qui s’en inscrivent dans l’Autre.
- De cette lecture le dessin est l’écriture, et non l’inverse
A partir de ce moment, de ce seul moment, le dessin n’est plus que l’écriture de ses signifiants. C’est qu’alors les objets en sont morts, perdus ou caducs, et surtout : c’est alors de la lecture qui en est faite, que naît cette écriture.
Réduire avant ce processus un dessin à une écriture, équivaut à en faire l’objet a que le dessin, telle une charade qu’il suffirait de lire, permettrait de découvrir. Ce serait encore une fois supposer qu’une image peut se confondre avec son objet a.
Pour conclure
Au fil de l’objet a
Que nous enseignent ces cinq fragments cliniques? Ils nous enseignent que du rien Il sa négation, que de cette négation à l’image qui ne fait rien, que de ce qui ne fait i ton au même de la bi-univocité, que de cette bi-univocité au trou non-spéculaire qui la découpe pour la perdre dans le moi, que du – cp marquant ce trou à la loi phallique i|iii en ordonne les bords, que de cette loi à l’énigme qui en fait vérité en se soutenant iln réel d’une jouissance, l’enjeu se révèle être ce qui traverse, court, échappe et fait liscourir, ce dont rien ne se saisit, parce que rien ne s’en nomme pour en être univoque : l’objet a.
I équivoque
lit prétendre le nommer sans équivoquer : c’est du cinéma! Le discours analytique l«sut porter sur ce qui l’équivoque, sur la différence par exemple, qui porte finalement toujours sur celle des sexes; mais est-il pour cela nécessaire d’en dire à l’enfant la si-xualité crue? En psychanalyse comme sur le corps de l’enfant d’ailleurs, elle se presente toujours là où elle est le moins attendue, en prenant bien soin de seulement tourner autour. Autour de quoi? Autour de ce qu’il serait fou de nommer sans équivoque, puisque cela équivaudrait encore à croire pouvoir y fixer l’objet a de la cure. I il fin de compte, cette sexualité n’est situable qu’à l’horizon de ce qui peut s’en dire, ou sans dire…
Comment ça se fait?
Cet objet a où porte-t-il, lui qui prend tous les détours, et connaît tous les tours de livelle dont le grand Autre déploie la topologie? Il porte justement à l’énigme qui ilqiuis la nuit des temps tarabuste le petit d’homme : comment les enfants se font-ils, l’.ir qui, et comment? Question universellement, intemporellement et quotidiennement reprise, en un : comment ça se fait? A cette énigme, qui pourrait bien n’avoir liimais été celle de la Sphynge puisqu’elle naquit d’un rapport incestueux entre une mòre et son fils, il répond par une construction, qui écarte carrément de sa conception l’organe génital proprement dit et la différence des sexes. Il rappelle de la sorte à l’analyste que son savoir ne tient sa raison d’être que de s’interroger sur sa fonction il.ins son rapport à la sexualité, celle-ci manquant toujours le signifiant; manière innocente de redire après Lacan, que faute de réfléchir à ce rapport, on se précipite- lait trop vite à en déduire que c’est au savoir sexuel, que la vérité pourrait tenir : or le savoir sur la vérité, c’est la vérité sans savoir (sexuel ou autre).
La construction que l’enfant s’invente sur ses origines, pour être du symbolique marqué d’irréel, n’en contient pas moins une part de pure vérité dit Freud. Sans doute csl-ce pour ce motif qu’il l’a nommée «théorie sexuelle infantile». Cette imagedeci-néma n’en vaut-elle pas une autre?