Argent, jeu et jeux d'argent
Un plaisir et une évasion
Si le jeu présente un tel attrait, c’est parce qu’il procure le plaisir illusoire de la fuite du réel, des tracas et des malheurs de la vie quotidienne. Ceux qui ont assidûment fréquenté les salles des casinos décrivent bien la griserie qui s’empare du joueur. Griserie provoquée par un univers de strass, de lumières, de rêves rendus accessibles par d’hypothétiques gains mirobolants. Ainsi, à Las Vegas, lieu mythique s’il en est, l’argent regorge de partout, au travers de décors clinquants dressés pour susciter un monde imaginaire et puéril, une néoréalité. Dans cette atmosphère irréelle, le joueur ne peut qu’être pris par la fièvre du jeu. Tout n’est là que futilité, en témoignent les sommes gagnées et aussitôt redépensées pour des plaisirs immédiats et passagers. Rares sont ceux qui reviennent plus fortunés de ces endroits. Les accros à la roulette ou au baccara ne cherchent pas seulement la fortune, ils viennent s’enivrer de l’ambiance des salles de jeu.
Ils se donnent aussi l’impression d’appartenir à une élite, les salles de jeu étant autrefois peu fréquentées par les classes pauvres. Par souci de lucre, le jeu d’argent s’est démocratisé, mais se rendre dans un casino reste auréolé d’une certaine féerie. Pénétrer dans un temple du jeu vous donne l’allure d’une personne riche.
L’argent du jeu, un argent sale
Pour des raisons religieuses, bien des civilisations bannissent le jeu. La religion chrétienne, par exemple, le considère comme un péché. La tunique du Christ fut jouée aux dés par les légionnaires romains. L’argent gagné au jeu est un argent sale, damné. Les jeux d’argent ont été longtemps associés à la débauche. La plupart des maisons closes possédaient un tripot. Actuellement, les jeux d’argent sont autorisés dans les casinos et interdits dans la rue ou dans les salles obscures des débits de boissons. Or chacun sait que la gestion des casinos a été le monopole d’organisations mafieuses. Jeux d’argent et monde de la pègre ont été étroitement mêlés.
Remporter la cagnotte du Loto ne fera pas de vous un homme respectable aux yeux de vos contemporains je m’en explique au chapitre « Et soudain, la fortune ! ». La richesse acquise au jeu ne brille qu’aux yeux des gens intéressés et des parasites qui tournent autour. Devenir riche au casino reste suspect, l’argent des casinos ayant, dans l’esprit des gens, une origine frauduleuse.
À cela s’ajoute le fait que les joueurs endettés n’hésitent pas à recourir à des moyens illégaux pour couvrir leurs dettes. Une récente étude, menée dans un État des États-Unis auprès d’une population de joueurs dépendants, a démontré que 80 % d’entre eux avaient eu recours à des moyens illégaux pour couvrir leurs dettes : détournements d’argent, chèques sans provision, emprunts non remboursés… Le joueur endetté est un quémandeur potentiel de votre porte-monnaie. Il n’est donc pas étonnant qu’il jouisse d’une mauvaise réputation.
Du plaisir au besoin
Nul doute que le plaisir est, au départ, la raison essentielle qui pousse un individu à jouer. Qui, au travail, n’a pas été sollicité un jour par ses collègues pour jouer en groupe au Loto ou au tiercé ? Qui n’a pas été tenté, en achetant des cigarettes, un journal ou des timbres, de risquer sa chance à un jeu de grattage ? Les personnes interrogées sur leurs motivations à l’achat d’un de ces jeux déclarent pour la plupart s’être livrées pour la première fois à ce petit plaisir lors d’un week-end, durant des vacances ou des temps libres et que, progressivement, l’habitude s’est installée. Le rêve du gain potentiel est l’appât principal du jeu. Quel que soit le jeu d’argent, l’espoir de décrocher un pactole est la première raison avancée.
En psychologie, le gros gain représente un renforcement positif. Ce concept est issu des théories de l’apprentissage. Skinner, à la suite des travaux du psychologue russe Pavlov, a démontré qu’une bonne partie de nos comportements était issue d’un conditionnement renforcé. Pavlov avait, lui, démontré la théorie de l’apprentissage classique. Si l’on fait retentir une sonnette chaque fois que l’on présente un plat de viande à un chien, ce dernier finit par saliver à chaque sonnerie, même si on ne lui présente pas sa gamelle.
Chez l’homme, le fait d’obtenir une récompense (un bon point à l’école, un salaire…) incite à renouveler une action donnée. La récompense qui induit la répétition d’un comportement est appelée un renforcement positif. La diminution de la fréquence d’apparition d’un comportement est provoquée par un renforcement négatif, ou punition.
Le gain au jeu représente une récompense. Mais l’espoir du gain lui-même est un renforcement positif. Bandura, psychologue américain, reprenant les travaux de Skinner, a mis en évidence l’importance chez l’humain des attentes de résultat. Nous reproduisons telle ou telle conduite dans l’espoir de recueillir une satisfaction. Cette gratification peut n’être que sociale – un sourire, un compliment -, pas forcément palpable. Le rêve, la puissance représentée par un gros rapport entretiennent la répétition du jeu. Chez certaines personnes ce phénomène peut aller jusqu’à la dépendance. Le fait de gagner importe, le fait d’espérer gagner est tout
aussi important. Une équipe de psychologues américains a démontré que, si la plupart d’entre nous ont tendance à abandonner ou à diminuer leur mise en cas de pertes répétées, le joueur pathologique reste convaincu qu’il peut réussir à gagner et continue inlassablement. C’est facilement observable chez les adeptes des machines à sous. Il vous est sûrement arrivé de jouer et, malgré le gain encourageant de quelques jetons, vous avez fini par vous lasser et abandonner. Le joueur dépendant ne peut exercer ce contrôle, il persévère, persuadé que le « gros coup » va venir.
Après un gain qu’il juge important, le joueur dépendant a tendance à ralentir le rythme de ses mises. C’est une phase dite de pause, après un renforcement, qui dure peu de temps. En effet, s’il continue à miser, même si les pertes s’accumulent, il est repris à un moment donné par l’attente d’un prochain gain et augmente de nouveau le rythme de ses mises. Au jeu de grattage, ce phénomène est évident. Les gains sont modestes, mais le fait de gagner laisse espérer un possible pactole. Ces jeux sont d’ailleurs organisés de façon que vous puissiez remporter quelque chose, souvent un gain modeste. Le simple remboursement du ticket suffit à entretenir l’espérance.
L’extinction, c’est-à-dire l’arrêt du comportement d’achat ou de mise, est difficile à obtenir. Si les pertes se répètent durablement, vous n’achetez plus de ticket. Puis un jour, l’espoir vous reprend et vous retombez dans le système, ou vous changez de jeu. C’est la raison pour laquelle la Française des jeux en réinvente en permanence.
Le système est performant et certains développent une addiction. Ils deviennent dépendants du plaisir éprouvé et ne peuvent s’arrêter. Ils restent à l’affût de tout nouveau jeu et dépensent des sommes énormes pour quelques secondes de grattage, comme les grands joueurs de casino. J’ai reçu au cabinet un jeune homme qui dépensait chaque mois l’équivalent de mille euros en jeux de grattage et au Loto sportif. Il mettait en péril le budget de son jeune ménage mais était incapable, malgré les réprimandes de son entourage, de se contrôler. Il se disait persuadé, à chaque acquisition d’un ticket, de parvenir « à décrocher la timbale ».
Le jeu du boursicotage sur le Net fonctionne sur le même modèle et le Net Addict se répand parmi notre population. Les quelques gains remportés grâce à une heureuse transaction vous placent dans ce système d’attente du gros coup à venir. Comme pour n’importe quel jeu d’argent, l’arrêt ou « l’extinction » de ce comportement malheureux ne se fait, pour les sujets dépendants, qu’après un échec cuisant. Et souvent, après une période d’abstinence, le joueur rechute et la spirale infernale reprend de plus belle.