Anxiété, agoraphobie et panique
L’anxiété est un phénomène dont tout un chacun a fait l’expérience dans la vie quotidienne et qui accompagne également de multiple façon beaucoup de troubles psychiques. En psychopathologie, Janet et Freud ont déjà étudié de plus près ce phénomène à la fin du siècle dernier. Depuis le milieu des années 60, il occupe à nouveau la recherche. Cela a conduit à une classification nouvelle et au développement de nouvelles méthodes de traitement du point de vue de l’indication différentielle envisagée dans la perspective du patient.
La classification nouvelle se distingue de l’ancienne par l’abandon du concept classique de névrose et par la place faite aux accès de panique dans le développement et le maintien des troubles anxieux.
Cette classification des troubles anxieux d’après le DSM-III-R n’est pas restée sans critique et comporte— comme toute classification — ses avantages et inconvénients. Nous l’avons choisie parce que, dans notre contexte, elle est la plus intéressante pour le moment. Le lecteur intéressé par le problème de la classification des troubles névrotiques trouvera chez Tyrer (1989) une discussion intéressante d’un clinicien et chercheur européen.
L’approche psychanalytique:
En 1895 déjà, Freud a décrit la névrose d’angoisse qu’il voulait distinguer de la neurasthénie (c’est-à-dire l’irritabilité nerveuse). Il la voyait caractérisée par les symptômes suivants : 1) irritabilité générale ; 2) attente anxieuse ; 3) accès d’angoisse ; 4) troubles de fonctions corporelles ; 5) sursauts d’effroi nocturnes ; 6) vertiges ; 7) développement de phobies ; 8) troubles digestifs ; 9) paresthésies (c’est-à-dire troubles de la sensibilité, surtout des sensations gênantes) ; et 10) possibilité de chronification de plusieurs des symptômes mentionnés.
Dans le même article, Freud avait également décrit le trouble panique qu’il caractérisait, comme on peut le voir dans ses remarques à propos de l’anxiété, de façon très actuelle :
« Celle-ci, au contraire, peut aussi faire irruption dans la conscience de façon sou-daine, sans être éveillée par le cours de représentations et provoquer ainsi un accès d’angoisse. Un tel accès d’angoisse consiste, ou bien uniquement dans le sentiment d’angoisse, sans aucune représentation associée, ou accompagné de la première interprétation à s’offrir, anéantissement de la vie, “attaque”, folie menaçante, ou bien alors au sentiment d’angoisse est adjointe une quelconque paresthésie (semblable à l’aura hystérique), ou bien enfin à la sensation d’angoisse est relié un trouble d’une quelconque ou de plusieurs fonctions corporelles, de la respiration, de l’activité cardiaque, de l’innervation vasomotrice, de l’activité glandulaire » (G. W., I, p. 319).
Freud mentionne les traits qui HCMMI considérés plus tard au DSM-III-R : la manifestation inattendue des attaques de panique, l’absence d’un lien avec un stimulus connu, la peur de devenir fou ou de mourir…
On constatera qu’il n’y a rien à changer dans la description faite par Freud les troubles anxieux ; elle se retrouve d’ailleurs en 1978 dans la CIM-9. La névrose d’angoisse y est définie de la façon suivante : « Combinaison variée de manifestations physiques et mentales d’anxiété non attribuable à un danger réel et survenant soit par accès, soit sous forme d’un état permanent. L’anxiété est habituellement diffuse et peut atteindre la panique. D’autres signes névrotiques tels que symptômes obsessionnels ou hystériques peuvent être présents mais ne dominent pas le tableau clinique. »
Pour esquisser la conception qu’avait Freud des troubles anxieux et de leur origine, disons qu’il décrivait trois sortes d’angoisses (l’anxiété librement flottante ou anxiété d’attente [expectation], l’anxiété phobique ou situationnelle, et les accès d’angoisse), qu’il appelait angoisse traumatique lorsqu’elles étaient fortes et aiguës, et anxiété de signal en cas de manifestation plus bénigne. Freud distinguait également la peur de l’angoisse : celle-ci ne se rapporte pas à un danger externe, mais à un danger interne, à un désir pulsionnel inconscient dont la réalisation est vécue comme dangereuse et doit être empêchée par les mécanismes de défense. Il s’agit donc de souvenirs inconscients, de dangers réels ou imaginaires qui sont en relation avec des désirs infantiles. Ces dangers changent au cours du développement psychosexuel de l’individu et sont, dans l’ordre de leur apparition : 1) le danger de perdre l’objet d’amour ; 2) le danger de perdre l’amour de l’objet ; 3) la castration jjst 4) les dangers résultant du sur-moi.
Dans le cas de l’agoraphobie, par exemple, il s’agit, d’après Freud, d’un conflit lié aux fantaisies sexuelles inconscientes. L’angoisse liée à la satisfaction pulsionnelle est déplacée et projetée dans l’espace (par exemple la rue) ; le patient peut ainsi se protéger contre l’angoisse, en ne se rendant pas au lieu dangereux, par exemple la rue. D’après des conceptions psychanalytiques plus récentes cependant, il s’agirait moins d’un conflit lié à des désirs sexuels que d’un conflit concernant le problème de la séparation et de l’individuation. D’après ces vues plus récentes, le noyau du conflit se trouverait dans un conflit entre le désir de « prendre le large », de devenir autonome et adulte, et le désir d’éviter l’angoisse que comporte cette émancipation.
La thérapie doit donc prendre en considération, tout particulièrement, la composante imaginaire (fantaisie) de l’angoisse et a comme but de permettre au patient d’avoir une compréhension du conflit fondamental, et d’interpréter et dissoudre le transfert qui s’est développé au cours de la thérapie.
Que cela ne puisse se faire selon le procédé classique, Freud l’a déjà reconnu en 1911 et il insistait encore plus tard lorsqu’il écrivait : « Une dernière activité, de nature tout à fait différente, s’impose à nous suite à la prise de conscience croissante du fait que les différentes formes de maladies que nous traitons ne peuvent pas être traitées par la même technique. Il serait prématuré de traiter cela en détail, mais je puis montrer à l’occasion de deux exemples, dans quelle mesure une activité nouvelle doit être considérée à ce sujet. Notre technique s’est développée au cours du traitement de l’hystérie et se trouve toujours adaptée à cette affection. Déjà les phobies nous obligent, cependant, à dépasser notre conduite actuelle. On ne se rend guère maître d’une phobie si l’on attend que par l’analyse le malade se laisse déterminer à l’abandonner. Il n’apporterait jamais en analyse le matériel indispensable à une résolution convaincante de la phobie. Prenez l’exemple d’un agoraphobe : il y en a deux sortes, une qui est plus légère et une plus grave. Les premiers souffrent chaque fois d’anxiété lorsqu’ils vont seuls dans la rue, mais ils n’ont quand même pas renoncé à y aller seuls, les autres se protègent contre l’angoisse en renonçant à sortir seuls. Chez ces derniers on n’a de succès qu’à condition de pouvoir les déterminer, par l’influence de l’analyse, à se comporter à nouveau comme des phobiques du premier degré, donc à aller dans la rue et à lutter contre l’angoisse, lors de cet essai. On essaie donc d’abord de diminuer la phobie à ce point et seulement lorsque le médecin y est arrivé, le malade sera en possession des idées et souvenirs qui rendent possible la résolution de la phobie » (G. W., XII, p. 191).
Des approches plus récentes du traitement psychanalytique de l’agoraphobie se préoccupent davantage de la question : comment déterminer ces patients « à se comporter à nouveau comme des phobiques du premier degré, donc à aller dans la rue et à lutter contre l’angoisse, lors de cet essai… », c’est-à-dire qu’elles procèdent, au moins au début, de façon plus centrée sur le symptôme.
Pour établir l’efficacité de la thérapie psychanalytique dans l’agoraphobie et dans les troubles panique, la littérature psychanalytique fait état d’études de cas. Des études d’évaluation empiriques, systématiques et contrôlées ne semblent pas encore avoir été présentées.