La thérapeutique par le temps
Le temps, pour l’homme, peut avoir une valeur thérapeutique. On s’est aperçu – sans bien comprendre pourquoi au début – que des médicaments agissent de façon plus efficace si on les administre à certaines heures. Il en est de même pour les substances toxiques. On a commencé à évaluer cette prédisposition de l’organisme à répondre plus ou moins au contact de certaines substances à partir de 1960 seulement, lorsque des biologistes ont remarqué que, chez des souris, la mortalité variait du simple au double suivant l’heure à laquelle on leur injectait une toxine. On s’est aperçu ensuite que la plupart des agents polluants, des microbes, des poisons, agissent également de manière parfois spectaculairement différente suivant le moment où ils entrent en contact avec l’organisme. Mieux vaut, si l’on craint les contrôles policiers, boire de l’alcool le soir que le matin, car sa concentration dans le sang est alors plus faible, bien qu’il provoque alors une plus grande sensation d’ébriété que le matin.
On a aussi remarqué que de nombreux troubles se manifestent de façon préférentielle à certains moments de la journée : les crises d’allergie se font plutôt pendant la nuit, à partir de 23 heures, les accidents cardio-vasculaires sont plus fréquents autour de 8 heures, au moment où les crises de rhumatismes sont les plus douloureuses. Les crises d’asthme sont plus fréquentes entre 3 heures et 5 heures du matin, 7 heures pour celles du rhume des foins. Les équipes hospitalières redoublent de vigilance à ces moments critiques. Les anesthésies locales n’ont pas le même effet, si elles sont faites le matin à 8 heures ou dans l’après-midi. Les cardiologues savent que la tension artérielle n’est pas la même à toute heure du jour ou de la nuit.
Des résultats spectaculaires ont été constatés en donnant à des heures spécifiques des remèdes chimiques, contre l’asthme par exemple, après qu’on eut mis en évidence que la toxicité de l’histamine est au minimum le matin et au maximum le soir. Il en est de même pour les substances chimiques utilisées pour lutter contre certains cancers. On a mis au point des seringues que porte le malade et qui lui injectent le médicament anti- cancéreux à des heures précises, ce qui évite son hospitalisation et accroît ses chances de guérison. Dans le cas de cancers de l’intestin, les résultats ont été deux fois supérieurs à ceux des méthodes classiques. On traite suivant le même principe avec de bons résultats les stérilités féminines qui cèdent à des injections d’hormones.
L’un des grands intérêts de tenir compte des variations dans le temps de l’effet de ces drogues est de pouvoir les administrer à des doses plus faibles, donc moins dangereuses, si on le fait au bon moment. Une nouvelle science est ainsi née, la chronobiolo- gie, et son corollaire, la chronopharmacologie, qui consistent à étudier avec soin les variations des effets des thérapeutiques en fonction du moment où elles sont appliquées et, d’une façon plus générale, à mieux comprendre comment utiliser les horloges internes de l’homme. Comme le dit le Dr Alain Reinberg, le pionnier français de cette activité, il aura fallu attendre la seconde moitié du XXe siècle pour qu’elle devienne une discipline scientifique, alors « que la notion de périodicité dans la représentation temporelle du monde vivant a certainement été présente à l’esprit des hommes depuis qu’ils ont commencé à cultiver la terre et à se cultiver eux-mêmes ». Malheureusement, le conservatisme des médecins et des services hospitaliers, hé au fait que ces techniques réclament davantage de temps, freine le développement, que chacun s’accorde, pourtant, à trouver prometteur, de cette chronothérapeutique.
On observe également de grandes différences dans l’évolution des maladies, l’efficacité des remèdes et dans la réaction aux substances toxiques selon les périodes de l’année. Les cancers se développent plus rapidement à certaines époques : les tumeurs du sein sont plus souvent diagnostiquées au printemps, lorsqu’elles grossissent davantage. Pour les tumeurs de l’utérus, le phénomène se produit pendant l’hiver. Les registres des hôpitaux montrent que le pic des décès est toujours pendant la deuxième partie du mois de février – et cela quel que soit le climat : il en est de même à Moscou ou en Californie. En collationnant toute une série de cas, le Dr Alain Reinberg et ses collaborateurs ont conclu que nous étions plus vulnérables en hiver et moins en été. Cela, dit-il, résulte probablement d’une adaptation de l’homme à son environnement. Nos ancêtres, pendant des millénaires, se sont activés l’été et se sont reposés l’hiver. Ce n’est que depuis !’industrialisation et l’urbanisation que nous faisons le contraire. Il ne faut donc pas exclure que cette hyperactivité hivernale, jointe aux facteurs de risque que constituent le climat et les pollutions soit la cause de cette vulnérabilité, qui se traduit par davantage de maladies et de morts.