Propositions métapsychologiques :La parole de la mère
Dans son séminaire XI Lacan rappelle que pour Freud, le modèle idéal de l’auto- imlisme pourrait être celui d’une seule bouche se baisant elle-même. Après ce que nous venons de soutenir du débordement de la fonction par le fonctionnement, toutes les zones du corps peuvent être reportées à la zone érogène dessinée par l’enclos des livres; ce n’est donc pas que la bouche, que la bouche peut baiser, ingérer, voire Incorporer : c’est avec elle le corps lui-même et en entier. Sans doute est-ce en cela que cet objet sexuel qu’est pour une mère son nourrisson, est pour elle si palpitant : «il Ilouche et celle de son enfant ne sont-elles pas un seul et même orifice, une seule et nirine zone érogène? Ne parle-t-elle pas pour deux alors?
J’oublie qu’il y a le transfert : je parle, je parle, et ça n’est pas digéré du tout; ça De descend pas dans l’estomac : je veux dire que l’estomac, c’est vous». Cet analysant ne peut pas mieux dire ce qu’est le rapport alimentaire entre une mère et son nourrisson, il boit ses paroles au moins autant que son lait. Et c’est ce qu’elle lui dit, qu’ il avale et digère, qui conduit le fonctionnement à déborder la fonction, et à la déborder de telle sorte que son fonctionnement se charge de libido, de jouissance ou il iTotisme, au point de pouvoir se trouver des objets qui ne soient pas nécessaires à la fonction, mais au débordement de son fonctionnement.
L’autiste n’est pas cet enfant auquel a manqué le jeu du regard dans son rapport» sa mère ; il est autiste parce que dans ce rapport, la parole de sa mère lui a manqui’« et qu’alors lui a fait défaut un fonctionnement débordant la fonction, au point tic « trouver des objets qui ne répondent plus à la seule satisfaction de cette fonction,bien qu’ils conservent un lien fonctionnel avec elle.
Le pouce est sucé, mais c’est le fonctionnement que cette succion satisfait, el nuit pas la fonction proprement dite; mieux encore : le sein maternel est tété, et cette tétée répond à la satisfaction de la fonction, mais la caresse simultanée du pénis en érection ne répond, elle, qu’à la satisfaction du fonctionnement : comme une bouche, la main suce elle aussi cet autre téton que représente le pénis érigé. Fonction et fonctionne ment conjoignent ainsi leurs satisfactions, et dans le même mouvement l#| disjoignent à partir d’objets différents. L’autiste ignore un tel mouvement, puisque il parole maternelle lui a manqué, et qu’il n’en a rien incorporé de signifiant.
Stendhal disait combien il aimait parler, parce que parler lui procurait toujours il#i érections sexuelles. Ce propos stendhalien introduit à la question des effets du déhoM dement produits par la parole sur d’autres zones corporelles; il introduit également A la question de l’origine de la pulsion. La parole de la mère à son enfant est ce qui déborde le fonctionnement d’une fonction; elle est ce qui le charge de libido,de jeuissânce, ce qui l’érotise. Si la pulsion n’est pas un mythe, c’est à cette parole qui l’origine qu’elle le doit : c’est elle qui érogénise les zones, qu’elle caresse de sM modulations, de ses amplitudes, et que la littéralité signifiante vient inscrire.
C’est elle aussi qui peut limiter les excès de débordement fonctionnel, afin que lu fonction n’en soit pas dissociée, trop débordée, ni pervertie, tous égarements que l’autiste ne peut méconnaître et auxquels il ne peut trouver comme parade associaiiv# que le retournement sur soi.
La première séduction, transitivisme, traumatisme
Mais le « commerce sexuel » de la mère avec son enfant fait d’elle sa première sédm trice; et en raison de la nature privilégiée de leurs rapports, il ne peut vivre aile séduction que passivement. Quels moyens sont les siens d’en limiter l’éventuel débite dement fonctionnel? L’incorporation signifiante et le refoulement. Or l’une et l’autre sont grandement fonction des signifiants du discours maternel, dont nous venons df voir que la parole peut charger le fonctionnement de pulsion, de libido, de sexualité Paradoxalement, l’autiste a besoin de cette séduction, de cette charge du fonctionne ment : ce qui lui est ainsi nécessaire, se paie par contre d’une insuffisante incorporai ion, d’un refoulement insuffisant aussi ou absent. Il n’a même pas le recours dont dispose l’enfant normal : la satisfaction du besoin, qui rappelle sans cesse les débordement» fonctionnels au principe de réalité que la fonction soutient de ses exigences phallique.
Étiologie du traumatisme
Quand ultérieurement l’enfant est confronté à l’éveil de sa sexualité par cet! «cause externe» qu’est la séduction, quand il en connaît alors les «débordements»,cet eveil — comme le nomme si justement Freud — tire de la nuit la séduction que le (nouveau-né avait vécue grâce au «commerce sexuel» que sa mère entretenait alors avec lui. Le traumatisme qu’il en éprouve n’est guère l’effet du débordement actuel Mil à fait secondaire : il est l’effet du débordement primaire interne dont il est Jtlhinergé, et qui fait retour des signifiants refoulés conservant la trace du premier fummerce sexuel. Cette séduction actualisée est-elle tout aussi passivement vécue que lu première refoulée? Certainement pas ; elle est, au contraire de la précédente, active, nie volontaire. Pourquoi en effet ne lui oppose-t-il pas un refus, ne dit-il pas non, à qui se propose à lui, ou pourquoi en fait-il toute une histoire, si ce n’est parce que cette, fois il en jouit activement? Ce qui est essentiel à repérer, c’est cette jouissance. Ijuand au contraire le traumatisme n’est pas de nature sexuelle — un accident de Voilure par exemple — il y a de la part du traumatisé répétition onirique du traumatisme, parce que ce traumatisme n’est pas chargé de plaisir, et ne peut pas rappeler la jouissance de la séduction maternelle : il y a trou de jouissance, manque irréversible,quand le traumatisme est proprement «accidentel », sans doute est-il possible d’en llt’iiver un concept de névrose ou de psychose traumatique : le débordement des exci- tiilions réelles et extérieures qui franchissent la barrière de protection et de défense Corporelle et psychique, le justifie. Mais lorsque le traumatisme n’est qu’une actuali- |Hlion d’une jouissance refoulée, quand il n’en est que la répétition «active» en acte, Il est impropre d’en dériver un concept de névrose ou de psychose traumatique. Il Viiudrait mieux parler dans cette hypothèse de névrose ou de psychose transitivistes. pourquoi? Parce que dans ce cas l’enfant donne un cachet presqu’exclusivement nexuel au commerce que sa mère entretenait jadis avec lui, alors bien sûr qu’il n’était que cela. S. Freud et S. Ferenczi avaient remarqué que les névroses traumatiques guerre se produisaient souvent chez des sujets qui n’avaient pas tant souffert d’un limimatisme réel personnel, que de celui d’un compagnon. Comment ne pas consi- iIi’rt que ces sujets souffraient transitivement du coup ayant frappé leur ami d’infortune? Le champ de la névrose traumatique stricto sensu ne paraît pas être très l’trndu. Observons enfin que si l’enfant est porté à se plaindre de la séduction dont il il lait l’objet, plainte qu’il n’exprime parfois que bien tardivement…, c’est parce qu’il imihaite qu’il soit mis ainsi un terme à sa jouissance, dont l’excès le déborde trop.
En cure
En analyse, c’est précisément par un travail de réactualisation dans le transfert de tels fonctionnements et fonctions qui ont pu faire problème à l’enfant dans ses rapports à sa mère, que la direction de la cure peut être pensée. Le psychanalyste est fil mesure d’y tenir une place réellement symbolique, celle qui permet que le fonctionnement puisse devenir le lieu des inscriptions signifiantes. Qu’il nous soit permis (je rapporter cette anecdote, à propos de la promotion «fonctionnelle» des objets divers et variés utilisés durant les cures d’enfant. «Oh qu’il est grand!», dit une un ie, en présence du caca de son enfant dans le pot, soulignant par là que c’est au moment où l’enfant acquiert la marche, qu’il peut devenir propre.
La mère qui exige le contrôle sphinctérien prématurément, avant que l’enfant lionne debout, phallicise l’objet (la merde) au lieu de phalliciser la fonction. Et ainsi, Imi cette défécation surinvestie, avant que la fonction en permette «normalement» le lonelionnement, la mère introduit une accélération dans le fonctionnement, qui non »Cillement anticipe une perversion de la fonction, mais encore prive l’enfant d’une anticipation par laquelle le fonctionnement serait adéquat à la fonction, serait adéquat ou la dépasserait. Ce qui est évoqué ici à propos de la propreté, peut l’être bien sûr propos d’autres fonctions, orales, urétrales, génitales, etc. vaut à propos des relationl où l’on voit par exemple un père emmener son fils à la prostituée, parce qu’il serai un homme à son âge. En surinvestissant le phallique, il produit ainsi de l’impuissant. La réelle.
A propos du fait de tenir debout, la question suivante se pose : est-ce parce qu’il peut tenir debout, que l’enfant peut déféquer dans un pot? Pour répondre à cette que« tion, disons que :
- si la maturité du système musculaire pour tenir debout était parallèle à la mutin ration de la commande sphinctérienne, cela laisserait supposer que les commandai motrices seraient les mêmes pour la posture que pour le sphincter !
- si c’est au contraire ce que la position debout a de phallique qui permet au sur de pouvoir s’assurer que son sphincter a une loi, le fait pour lui de pouvoir faire chiim le pot participe, et sa maîtrise sphinctérienne participe de la loi, et non plus de seul» sphincters.
Quel rapport tout cela a-t-il avec la perversion?
Si la mère inscrit son discours comme discours électif du fonctionnement, celui cl ne répond pas à une fonction, mais au désir exclusif de la mère. Processus qui n’ont évidemment pervers que lorsque pour elle ce fonctionnement est un phallus imafjU naire. Dans ce cas, le fonctionnement n’a plus «à travailler» pour la fonction, nmU pour la jouissance de la mère, incarnant alors une fonction vitale; elle exige de son enfant une alliance contre la fonction; cette alliance persiste jusqu’à l’accomplisse« ment réel d’une perversion.
Qu’en conclure?
- C’est de ce que dit la mère à son enfant du fonctionnement que quelque chouf de symbolique en est inscrit de façon signifiante pour lui dans ses fonctions.
- Qu’est-ce qui de ce fonctionnement vient ou ne vient pas au-devant de celle inscription, et confère à son support la qualité d’être symbolisable ou de ne l’étre pas?
Dans la mesure où le fonctionnement, qui est le lieu du discours de F Autre, perd toute équivocité, donc toute efficacité symbolique, il y a perte ou dégradation de lu fonction par non fonctionnement; c’est en quelque sorte le signifiant manquant qui «dévore» la fonction; tant que le signifiant n’est pas débusqué, tant qu’on n’apporli pas ainsi de symbolique au fonctionnement, tout se passe comme si la trace dans le fonctionnement, celle qui attend son signifiant, rendait le signifiant manquant débordant et destructeur de la fonction. Prenons par exemple l’atrophie musculaire dans les hysie ries de conversion, atrophie par laquelle la fonction est altérée : en rendant à nouveuU son fonctionnement possible, le kinésithérapeute rend à nouveau la fonction valide.
Le signifiant, de ne s’être pas porté au-devant de l’inscription qui l’attend, met la fonction en péril, empêche le fonctionnement de fan» fonctionner la fonction.
Nous avons la preuve a contrario dans la paralysie poliomyélitique, qui est une atteinte de la fonction motrice; en faisant fonctionner la fonction, la rééducation .
Le signifiant, parce qu’inscrit déjà, peut permettre cette relance de la fonction par un fonctionnement.
Dans la perversion, le discours de la mère est tel, qu’en aucun cas le signifiant ne Brui rejoindre les inscriptions qui l’anticipent, qui l’attendent, dans le fonctionne- inrnt des fonctions afin que ces fonctions s’accomplissent. Ce que la mère attend des lénifiants — les siens comme ceux de son enfant — c’est qu’ils s’inscrivent dans un fniKlionnement positivé comme objet a. En d’autres termes, elle et lui font fonction . La mère considère que les objets partiels de son enfant sont aussi les »li ns, puisqu’ils représentent partiellement leur fonction comme-une ; à cet égard, Unions que le leurre pervers consiste à toujours vouloir faire comme-un avec l’autre mère, partenaire, etc. On voit bien dans le fonctionnement d’une fonction comme- que ce fonctionnement est objet fétiche de la fonction.
Le signifiant apparaît donc comme essentiel tout autant que terriblement acharné, et capable de se déchaîner dans quelque réel (âme, corps, lieu, etc.). Il est hou que l’interprétation ne soit articulée à l’analysant que lorsque l’analyste en sait l’inscription adéquate, correspondante et réceptive. Toute interprétation qui lâche du •lénifiant sans s’assurer de l’inscription qui l’attend, lâche ce signifiant sans le savoir ilims le réel. Le rêve est à cet égard le matériaux privilégié des révélations des Inscriptions en attente.
Si l’analyste fait une interprétation de mauvais aloi, dite sans savoir et sans objet. Il Vil fait-il pas d’abord sa jouissance, en déchaînant dans le dire du patient des associations incontrôlables? Et l’on pourrait presque définir la perversion comme cette volonté de faire courir les signifiants pour qu’aucune inscription en attente ne les arrête (les lninsformer en objets positivés pour la jouissance maternelle ou autre qui s’y ramène, t’sl sans doute le moyen le plus aisé et le plus commun de les faire ainsi courir).
Et nous touchons là à un point qui paraît nodal à propos des autismes.
L’autisme
- La faille fondamentale du symbolique, marque de la Dysharmonie essentielle, lieu des pulsions de vie et de mort, c’est ce qui nécessite les déclinaisons du liinclionnement.
- La faille détermine le fonctionnement : cette Dysharmonie le nécessite; dès lors mi peut comprendre en quoi chez l’autiste tous les fonctionnements sont pris de telle qu’ils pervertissent les fonctions, toutes les fonctions : le «facteur commun à Ions les fonctionnements», c’est dans le symbolique articulé au fonctionnement qu’il fissile, car le symbolique n’a pas de faille chez l’autiste. Qu’est-ce que cela signifie exactement? Il semble que ce soit du côté de l’impossible inscription signifiante que l’on pourrait aborder cette question.
Normalement les conditions de l’inscription s’opposent à la faille du symbolique, à iv qu’il y ait faille. En d’autres termes, et quant à la structure, perversion et autisme ni’ se constituent pas par défaut, mais par excès de symbolique (excès qui vise à loinbler la faille, comme Lacan d’ailleurs évoque combien le petit a pouvait faire qu’il n’y ait plus aucun trou dans le grand Autre, défini comme lieu des signifiants et de rien d’autre.