un léger état d'ébriété : la thérapie par le lithium
Le plus léger des métaux peut avoir un effet si important sur le cerveau qu’il permet aux personnes atteintes du type le plus invalidant de dépression de mener une vie normale.
En Europe et aux États-Unis, on estime à un demi-million le nombre de personnes qui prennent du lithium pour calmer les sautes d’humeur d’une dépression bipolaire (psychose maniaco-dépressive). Ce métal peut jouer un rôle biologique dans le contrôle des neurotransmetteurs dans le cerveau et a donc un effet calmant sur des troubles mentaux trop importants pour réagir aux antidépresseurs courants.
La thérapie au lithium n’est pas pratiquée pour corriger une carence en un élément essentiel. En effet, ce métal ne semble pas être biologi-quement nécessaire à l’organisme, mais il est présent dans notre orga¬nisme, en quantités notables. Le lithium est largement répandu dans la Nature et nous en avons un apport quotidien à travers notre nourriture et nos boissons. Les teneurs caractéristiques dans les aliments sont, par exemple, de 0,5 p.p.m. (poids sec) dans le maïs et le chou, 0,3 p.p.m. dans la laitue, 0,2 p.p.m. dans les oranges et les pommes de terre (qui peuvent en contenir jusqu’à 30 p.p.m. si elles ont été cultivées dans un sol riche en lithium). Nous absorbons une petite quantité de lithium par le biais de notre alimentation, mais celui-ci est excrété facilement ; il ne s’accumule donc pas dans nos tissus ou nos organes. La quantité de lithium présente dans l’organisme d’un adulte est d’environ 7 mg et sa teneur dans le sang est de 4 p.p.b. environ, ce qui indique bien combien il est peu important. Il est si peu présent dans notre alimenta¬tion que cela explique ces faibles concentrations.
Nous ne pouvons pas complètement nier que le lithium joue un rôle biologique chez les animaux car, dans le passé, au moins une expérience a montré que ce métal peut être actif. Des chèvres nourries depuis la naissance avec une alimentation dépourvue de lithium prenaient moins de poids que celles qui avaient eu une alimentation normale.
Bien que méconnu en tant que tel, le lithium a une longue histoire dans le traitement des maladies. Les eaux de l’antique Ephèse, alors ville grecque, qui se situe actuellement en Turquie, étaient réputées pour être bénéfique pour le cerveau. (C’est ce qu’écrivit Soranus d’Ephesus, né à Ephesus au deuxième siècle après J.-C. et qui avait exercé la médecine à Rome. Il était spécialiste des maladies de la femme et son ouvrage, Sur les maladies chroniques et aiguës comportait un chapitre relatif au traitement des troubles nerveux). En réalité, l’eau des environs d’Ephèse a un taux de lithium supérieur à la normale mais pas au point d’avoir beaucoup d’effet sur ceux qui la buvaient.
L’histoire du lithium commence réellement vers la fin du XVIIIe siècle. C’est le scientifique brésilien Jozé Bonifacio de Andralda e Silva qui découvrit le premier minerai contenant du lithium, la péta- lite, sur l’île suédoise de Utô qu’il visitait dans les années 1790. L’analyse de ce minerai conduisit à un résultat étonnant : le total des teneurs de ses éléments constitutifs n’atteignait pas 100 %. Ce problème fut résolu à Stockholm en 1817 lorsque Johan August Arfvedson (1792-1841) accepta d’en effectuer une analyse plus précise. Celle-ci dura plusieurs jours et le total n’atteignant que 96 %, le
chercheur fît une déduction objective de son travail. En janvier 1818, il expliqua que les 4 % correspondaient à un nouveau métal, dont il pensait, à raison, qu’il était alcalin. Il le nomma lithium, du grec ancien lithos, qui veut dire « pierre ».
La même année, on rapporta qu’au contact d’une flamme, le lithium émettait une très belle couleur rouge et cela s’est révélé utile pour détecter rapidement sa présence. Peu après sa découverte, on découvrait du lithium dans d’autres minerais et même dans les eaux thermales de Karlovy Vary, Marienbad et Vichy. La mesure des traces infimes de lithium nécessite d’utiliser une technique plus sensible que le test à la flamme. Une technique telle que la spectroscopie permit finalement de mettre en évidence le lithium grâce à la raie rouge carac¬téristique dans son spectre. Cela entraîna la mise en évidence du métal dans l’eau de mer en 1859 (la concentration n’était que de 0,17 p.p.m.) et dans les années qui suivirent, on détecta aussi sa présence dans les grains de raisin, les algues, le tabac, différents légumes, le lait, le sang et les urines de l’Homme.
Bien que le lithium soit un métal alcalin, comme le sodium et le potassium, Arfvedson ne put l’isoler par électrolyse comme le fit Humphrey Davy pour les autres métaux alcalins. William Brande a pu mener à bien cette expérience mais la quantité de métal obtenue était si faible qu’elle fut insuffisante pour étudier ses propriétés. Cela devait anendre 1855 lorsque le célèbre chimiste allemand Robert Bunsen (1811-99) et le chimiste anglais moins connu, Augustus Matthiessen (1831-70) *, parvinrent indépendamment à produire suffisamment de peuvent persister longtemps avant de se dissoudre à nouveau. Cepen¬dant, le sel de lithium de l’acide urique étant très soluble, on estimait que le fait de boire une eau riche en lithium devait aider à son élimination en dehors de l’organisme ; c’est ce que disait le Docteur Ure en 1843. L’éminent médecin de l’époque victorienne, Sir Alfred Garrod (1819-1907) popularisa cette idée ; il avait remarqué qu’une solution de carbonate de lithium dissolvait très rapidement l’acide urique, tout au moins dans un tube à essai et il conseilla d’en consommer de fortes doses. La théorie selon laquelle le lithium était le meilleur moyen de traiter la goutte fut dominante pendant plus d’un demi-siècle, jusqu’à ce que l’on prouve qu’il n’apportait aucun bienfait. Effectivement, en 1912, le docteur Pfeiffer montra qu’en réalité, chez les patients atteints de goutte, l’absorption de composés de lithium ralentissait l’élimina¬tion de l’acide urique.
Pendant ce temps, d’autres médecins testaient le lithium pour le traitement d’autres maladies. En 1864, les sels de lithium apparurent dans la British Pharmacopoeia (Pharmacopée Britannique). Parmi ceux-ci figurait le carbonate de lithium que l’on pouvait utiliser en cas de troubles digestifs et le citrate de lithium qui avait une action diurétique. En 1871, William Hammond conseillait l’utilisation de fortes doses de bromure de lithium pour le traitement des épisodes aigus de « manie » et de « mélancolie » et le neurologiste danois, Cari Lange, prescrivait un mélange de sels alcalins dont le lithium était le composant majeur, affirmant qu’il était efficace pour le traitement de la « dépression saisonnière ». Ces idées étaient bien en avance sur leur temps et n’ont pas été acceptées par le milieu médical. En 1949, un médecin australien, John Cade, fit accidentellement une découverte majeure : le lithium allait devenir le meilleur traitement de ces maladies. métal pour pouvoir l’étudier et ce, en procédant à l’électrolyse du chlorure de lithium fondu.
Le lithium métallique n’est pas utilisé en tant que tel car il est très vite attaqué par l’humidité. Contrairement au sodium, il ne réagit pas avec l’oxygène de l’air (à moins d’être chauffé à 100 °C), mais avec l’azote atmosphérique, pour former du nitrure de lithium.
Le lithium est le plus léger de tous les métaux ; il donne aussi des alliages légers, le plus important d’entre eux étant l’alliage avec l’aluminium qui peut être utilisé pour diminuer le poids des avions et des engins spatiaux et donc pour économiser du carburant. Le lithium est aussi utilisé dans la fabrication des batteries longue durée pour les matériels électroniques où la compacité et la légèreté sont capitales. De telles batteries ont généralement une anode de lithium et de l’iode comme électrolyte solide et peuvent avoir une durée de vie de dix ans.
Le carbonate de lithium (Li2C03) est le seul composé important du lithium ; il est très peu soluble dans l’eau, ce qui rend faciles sa prépa¬ration et sa séparation. On l’utilise dans le raffinage de l’aluminium, dans le verre, dans l’émail et les céramiques et il sert de matière première dans la fabrication des autres composés du lithium. Le carbonate de lithium sous forme purifiée est prescrit pour le traitement des dépressions sévères et bien qu’en termes quantitatifs, cela représente peu de lithium, on peut dire que c’est l’utilisation la plus bénéfique de toutes. Et, fait surprenant, nous n’avons pas encore complètement compris comment sa magie opère dans le cerveau.
Au XIXe siècle, le lithium était à la mode pour le traitement de la goutte, une maladie douloureuse dans laquelle de fins cristaux d’acide urique se forment dans les articulations, en particulier, celles des pieds. L’acide urique n’est pas très soluble et une fois les cristaux formés, ils cade fit des expériences sur des cochons d’Inde en leur injectant de l’urine de patients maniaco-dépressifs de l’hôpital où il travaillait, avec l’espoir de montrer que leur maladie était réellement due à un excès d’acide urique. Les animaux avaient également reçu des injections de sel de lithium de l’acide urique. À sa surprise, Cade trouva que les cochons d’Inde, normalement nerveux, étaient devenus si flegmatiques qu’on pouvait les mettre sur le dos et qu’ils restaient allongés calmement durant des heures.
Cade essaya alors le carbonate de lithium sur son patient le plus pénible qui avait été admis dans une salle sécurisée cinq ans aupara¬vant. Il trouva que le patient réagissait si bien qu’au bout de quelques jours il le transféra dans une salle normale de l’hôpital et qu’en deux mois, il était apte à rentrer chez lui et à retrouver son ancien travail. Après la publication des résultats de Cade, les autres médecins commencèrent à traiter leurs patients maniaco-dépressifs avec du carbonate de lithium et ils trouvèrent qu’il les guérissait aussi. Le traite¬ment fut admis en Europe en 1960 et aussi aux Etats-Unis en 1970 malgré la campagne publicitaire antérieure défavorable relative au chlorure de lithium (LiCl). Ce dernier avait provoqué le décès des personnes qui l’avaient utilisé comme produit de remplacement du sel.
Après la Seconde Guerre mondiale, LiCl avait été commercialisé à l’usage des personnes atteintes de maladies cardio-vasculaires qui étaient sous régime désodé. En 1949, plusieurs personnes décédèrent suite à un empoisonnement au lithium et des mises en garde urgentes furent publiées dans la presse et émises sur les ondes. La FDA interdit l’utilisation de tous les sels de lithium et mena sa propre recherche sur ces composés, arrivant aux conclusions que de fortes doses de lithium pouvaient affecter les reins. Cette interdiction dura environ 20 ans et ne devait être levée que si les bienfaits de la thérapie par le lithium étaient appréciés par les médecins américains et leurs patients.
Généralement, le lithium est prescrit sous forme de carbonate de lithium présenté en comprimés de 250 mg ; il est le plus efficace lorsque le taux de lithium dans le sang est compris entre 0,6 et 1,2 millimoles par litre1. Il est dangereux de dépasser une dose de 2,5 grammes et un taux de 15 mg par litre dans le sang indique un léger empoisonnement au lithium. Une prise de lithium peut avoir des effets à long terme car elle peut entraîner une atteinte définitive des reins ; c’est pourquoi on prescrit généralement le lithium pour une durée maximale de cinq ans, pendant laquelle un suivi régulier du patient s’impose.
De nos jours, il est rare que des médecins prescrivent un médicament dont le mécanisme d’action dans l’organisme ne soit pas compris ; pourtant, le lithium appartient à cette catégorie de médica¬ments, bien qu’il existe des théories relatives à son mode d’action. La première d’entre elles, encore considérée comme l’explication la plus probable, remonte au milieu des années 1980 ; on la doit à Michael Berridge et ses collaborateurs, de l’Unit of Insect Neurophysiology and Pharmacology (unité de pharmacologie et neurophysiologie des insec¬tes) de Cambridge, en Angleterre. Ils affirmaient que le lithium dimi¬nuait le taux d’inositol, molécule qui a la structure d’un sucre et qui se trouve dans les membranes cellulaires de tout l’organisme, y compris dans celles du cerveau. Notre alimentation et particulièrement les céréales, les légumes et les agrumes peuvent fournir d’autres parties du corps en inositol et inositol phosphate mais l’inositol phosphate n’atteint pas le cerveau qui doit donc fabriquer son propre inositol phosphate. Sa production et son recyclage dans cet organe peut interfé¬rer avec le lithium car il peut pénétrer les cellules nerveuses.
L’inositol phosphate envoie des signaux de l’extérieur à l’intérieur de la cellule par le biais des ions calcium. Après avoir accompli sa tâche, il est recyclé en inositol par l’enzyme inositol monophosphatase. C’est elle qui contrôle vraiment la sensibilité d’une cellule et du cerveau à des stimuli extérieurs, laquelle entraîne, si elle est trop importante, des modifications de l’humeur et un comportement maniaque. Le lithium bloque l’activité de Y inositol monophosphatase mais uniquement dans les cellules nerveuses où il y en a trop, ce qui explique pourquoi le lithium n’agit pas sur les personnes non dépressives et pourquoi le fait d’en prendre ne vous remontera pas le moral.
Une équipe de chercheurs des laboratoires Merck Sharp & Dohme, de Harlow en Angleterre a proposé une autre explication du mécanisme d’action du lithium. Howard Broughton, Scott Pollack et John Atack ont étudié la façon dont le lithium affecte le comporte¬ment de l’enzyme et ont conclu qu’il agit bien en occupant un site de la molécule qui devrait être occupé normalement par le magnésium ; de ce fait, l’enzyme cesse d’agir comme elle le devrait.
À première vue, cette interchangeabilité semble en désaccord avec la chimie de ces éléments car le lithium et le magnésium appartiennent à des groupes adjacents du tableau périodique. Le lithium fait partie du groupe 1, le magnésium du groupe 2, et ils donnent des ions chargés différemment, Li+ et Mg2+. Néanmoins, ils présentent effectivement des similitudes chimiques liées par ce que l’on appelle la relation diagonale entre les éléments des différents groupes. Il est donc possible que l’environnement dans une enzyme qui attirerait et capterait un ion magnésium soit aussi attractif pour un ion lithium, mais dès que cela se produirait, l’activité de l’enzyme serait bloquée jusqu’au départ du lithium. Le remplacement du magnésium par le lithium dépend de la concentration de ce dernier dans l’organisme et il est nécessaire de le maintenir à des concentrations assez élevées afin qu’il puisse rivaliser avec succès avec le magnésium et désactiver suffisamment de molécules nerveuses hyperactives du cerveau et ainsi, calmer le patient.
Il existe d’autres théories sur le mécanisme d’action du lithium. Le docteur Adrian Harwood de l’University College de Londres pense qu’il désactive l’enzyme glycogene syntbase kinase-3 qui fait partie de la chaîne du signal.
Evidemment, il y a encore beaucoup à faire pour comprendre le mécanisme d’action du lithium dans l’organisme. Vu l’état des connaissances, il n’est pas possible de trouver un autre traitement plus sûr ou de faire en sorte que le traitement au lithium soit plus ciblé, et donc prescrit moins longtemps. Cependant, le lithium agit et reste incontesté dans le traitement des formes extrêmes de dépression.
En 1991, dans l’ouvrage Lithium in Biology and Medicine (Le lithium en biologie et en médecine) on apprenait que, d’après des études épidémiologiques effectuées aux États-Unis, le nombre de crimes et de suicides était inférieur dans les régions où l’eau potable comportait des taux de lithium relativement élevés, c’est-à-dire supérieurs à 70 p.p.b. La déduction évidente était que les autorités devaient ajuster le taux de ce métal dans l’approvisionnement d’eau des régions où les crimes et les suicides étaient fréquents. On ne fera jamais une telle utilisation du lithium même si l’on pouvait persuader une Compagnie des eaux d’effectuer une telle expérience durant le nombre d’années nécessaires pour apporter la preuve de cette action du lithium, et ce, uniquement parce que ce métal ne sera jamais assez bon marché.
Le lithium intervient aussi dans d’autres traitements médicaux : par exemple, les crèmes à base de lithium ont montré leur efficacité à bloquer l’herpès génital, soulageant ainsi des patients de cette autre mala¬die qui pourrait les amener à utiliser d’autres traitements antidépresseurs.
2 réponses pour "un léger état d'ébriété : la thérapie par le lithium"
apres une episode bref d irritabilite et une agression verbale envers mes superieurs au travail on m a hospitalise en psychiatrie avec un code d etat de schyzophrenie j y suis reste 3 semaines plus tard
me sachant incertaine avec ce code j ai vu un prof de psychiatrie qui m a dit en fait que je ne souffrais pas de schyzophrenie mais que j avais eu un episode de mild bipolar disorder
et qu il me fallait prendre du lit hium pour regulariser les sautes d humeur et aussi en prevention
bonjour
pourrais je trouver du lithium dans les magasins bio chez solgar?
merci