Les théories sexuelles familiales
Toujours la même histoire
La place de la famille dans la direction de la cure est une question centrale : elle lui fait embarras, ou en promeut le progrès ; la position freudienne et celle de ses disciples sur la place à lui accorder au regard de la cure, n’a pas cessé d’être variable, et se complaît même encore à l’hétérogénéité.
La question se pose du transfert de la famille sur l’analyste, lorsque la cure est conseillée. Chez l’enfant, il s’agit là d’une réalité quotidienne; et chacun sait à quel point il est nécessaire d’en tenir compte, dans la mise en place d’une analyse d’enfant qui ne peut même être envisagée, avant que le mouvement transférentiel de la famille ait été non seulement pris en compte mais encore pour une grande part élaboré (cf. chap. «Le cadre de la cure»). Que l’on se place du côté de l’analysant ou du côté de l’analyste, la position familiale vient obligatoirement interférer dans l’établissement du transfert, cet amour dont la cure tient son efficace.
La résistance de la présence
Ce transfert a à faire dans la cure, avec la résistance de la présence. Si l’on a souligné à quel point la présence de l’analyste vient faire obstacle à la parole pleine, nous pouvons étendre cette remarque à la famille elle-même, au soin que met l’analysant à la rendre présente dans la séance elle-même; présence d’autant plus marquée, recevable dirions-nous, que l’analyste de son côté l’attend, l’anticipe, quand il ne la suscite pas. Le fantôme, l’épouvantail ou l’icône de la famille, font partie du théâtre de l’autre scène. La famille vient ainsi apporter son affluent tumultueux au flot imaginaire de l’analyse.
Pour la bonne bouche
Ce qui constitue la haine fraternelle passe par cette bouche d’où émerge la pulsion orale pour y retourner, étayée paf le sein du besoin; c’est ainsi que va se poser l’interrogation de l’origine, pas seulement sous sa forme imaginaire, mais dans son questionnement à proprement parler symbolique : à savoir, la mise en place des théories sexuelles infantiles. Théorie, c’est-à-dire hypothèse, qui suppose une anticipation symbolique et qui met en jeu le sujet. De même que la frustration vient rabattre l’objet de la demande sur l’objet oral du besoin, de même l’absence de réponse au questionnement concernant la naissance et la conception des enfants, la fin de non recevoir qui lui est opposée, viennent rabattre l’hypothèse sexuelle à l’oralité ou, par déplacement, à l’objet fécal.
Le corps de la famille et ses bords
Quand on considère ce qu’il en est de l’analyse du moi, comment ignorer que c’est iiussi de l’analyse de la famille qu’il s’agit? Corps de la famille, décoré de son blason spéculaire idéalisant — ce qui est souligné par sa devise — énoncé par une significa- lion qui ne permet par d’accéder au sens, marqué par une symbolique tout imaginaire qui peut faire trait aux identifications, notamment lorsqu’elles sont hystériques. Mais aussi corps perforé de ses trous : bouches à nourrir d’abord, depuis la grande bouche tic la mère qui s’ouvre et se ferme au lieu du grand Autre, insatiable et abyssale, jusqu’aux bouches des petits autres fraternels, à qui sont destinées les plus grosses parts ; succession de bouches qui tètent le sein et qui peuvent rendre mortellement haineux le regard de l’auguste petit autre. C’est au bord de ces orifices du corps que viennent se précipiter les théories sexuelles infantiles : du même mouvement, ils leur confèrent un destin pulsionnel étayé par le besoin.
Pénis-Neid et protestation virile
La famille est marquée de façon cruciale par les places prescrites dans la structure du discours familial lui-même. Le mérite de Freud est d’y avoir repéré sans ambiguïté la place du désir, du Pénis-Neid des femmes, dont nous pouvons souligner après lui qu’il s’agit d’un réel du désir : véritable impossible, rebelle au symbolique, s’il n’est ménagé de manque chez la mère dans la famille. Lisant Freud, Lacan fait intervenir la métaphore paternelle, pour souligner combien elle peut être mise en péril par une mère, omnipotente, omniprésente, en particulier lorsqu’elle a eu un enfant… sans homme : cette homosexuelle fécondée par insémination artificielle par exemple, est en proie à une crise d’angoisse aiguë quand on lui annonce que le fœtus est de sexe féminin.
On touche ici du doigt ce que cet exemple a de radicalement opposé à la théorie sexuelle de la famille qui aboutit — mais à travers le symbolique et non pas le réel – à une problématique du même ordre mais non pas dans le domaine de l’ovule : dans celui de l’hypothèse d’une théorie sexuelle infantile. Il y a stricte opposition entre ce que la castration a de symbolique dans ce cas, et ce que la forclusion du nom- ilu-père a de soudé au réel dans le cas précédent. Comment dès lors pour l’enfant parler du «choix» de la névrose ou de la psychose, sinon comme d’un «choix» strictement transmis par la modalité du Pénis-Neid de la mère? On conçoit bien que Freud 1171 puisse soutenir d’une analyse qu’elle soit infinie dans un cas, et paraisse comme impossible dans l’autre.
Pour l’homme, Freud évoque un obstacle symétrique, mais dans une configuration beaucoup moins connue que le Pénis-Neid chez la femme; il en dénonce cependant la même conséquence : le relus de la passivité devant l’Autre; il prend pour illustrer ce refus le terme lorgé par Otto Rank île «protestation virile».
Les deux destins du phallus dans la famille
Cette symétrie est essentielle pour saisir la similarité des mécanismes en cause chez la femme et chez l’homme. Cette protestation trouve dans le champ de la famille son lieu favori : protestation du père vis-à-vis de la mère, du fils vis-à-vis du père… Et le fait de tourner en rond sur l’autre scène devenue celle d’une famille imaginaire, prend en quelque sorte dans cette symétrie entre Pénis-Neid et protestation virile, toutes ses implications logiques. Cette logique essentiellement hétérogène ne se déploie que dans une dialectique familiale, où le phallus vient dans un cas se signaler par la négation même de son absence, et dans l’autre par une protestation qui signalerait sa défaillance. C’est par ce double mouvement que la mère peut devenir capable de phalliciser l’enfant : elle utilise alors la protestation virile du père, mais pour soutenir son propre Pénis-Neid.
Jouissance autre contre jouissance phallique
On repère bien la fonction symbolique de la famille, qui permet de ménager à la mère la capacité d’échanger peu à peu sa jouissance autre — cette jouissance par laquelle elle peut confondre son propre corps, son propre imaginaire, avec le réel de son enfant — contre de la jouissance phallique, jouissance hors-corps donc non imaginarisable ; un nouage entre le réel, le symbolique et l’imaginaire en devient dès lors possible.