La reconstruction transgénérationnelle de la honte
écrit le: 26 janvier 2013 par admin
Or une telle attitude, lorsqu’elle se développe chez un patient, correspond bien souvent à sa tentative de comprendre le sens de certains silences, d’attitudes mystérieuses ou d’omissions parentales. Et l’essai de reconstruction de l’histoire familiale en analyse est bien souvent à prendre comme le signe qu’une telle reconstruction s’est heurtée, dans la famille même du patient, à la honte d’un parent. C’est de cette honte qu’il a souvent d’ailleurs faite sienne que le patient tente, en analyse, de se libérer. Cette honte jamais formulée, l’enfant l’a, en effet, perçue à travers de multiples manifestations verbales et non verbales dans les communications de l’adulte qui en était le porteur. Et il l’a placée à l’intérieur de lui-même de telle façon qu’il est devenu le dépositaire d’un sentiment étranger à son propre moi. C’est ainsi, le plus souvent, autour de la honte et de ses avatars que s’organise le lien secret destiné à assurer de la fidélité à un secret familial. Il en résulte souvent que les individus marqués à leur insu par le secret honteux d’un autre sont condamnés à osciller d’une interrogation continue et sans solution (et pour cause) sur leur propre histoire familiale, à une adhésion inconditionnelle à une autorité parentale de substitution : famille religieuse, idéologique ou politique. Et ils se font fréquemment, dans de telles familles de substitution, les élèves zélés de la reproduction des paroles du (ou des) maître(s), tant la crainte d’être confrontés au risque d’un rejet et à la honte qui s’ensuivrait est grande pour eux !
Si les périodes d’exploration et de mise en cause de l’imaginaire familial sont acceptées et accompagnées par le psychanalyste, il en résulte un renforcement du sentiment de sécurité interne du patient et, à terme, l’enrichissement de ses capacités de symbolisation de sa propre histoire. En effet, que de tels patients puissent penser quelque chose de leur histoire familiale, en dépit et même contre l’interdiction familiale d’en penser quoi que soit, est déjà une grande victoire contre les forces d’oubli et de mort. Qu’on ne leur demande pas, en outre et d’emblée, de penser juste ! Leur effort d’élaboration est d’abord structurant en soi, indépendamment de son contenu. D’ailleurs, celui-ci est fréquemment transitoire et remodelé au fur et à mesure des réflexions du patient.
Quant aux tentatives de reconstruction des situations traumatiques éventuellement vécues par les parents, elles sont, bien entendu, de l’ordre du mythe plutôt que de celui de la réalité historique. Mais n’est-ce pas justement au mythe que l’absence d’une symbolisation parentale préexistante condamne ces patients ? Il est important de comprendre que ces reconstructions ne sont pourtant pas de l’ordre de la fantasmatique personnelle et qu’elles n’ont rien à voir avec le « roman familial » freudien. Elles sont la tentative de symboliser les informations éparses et parfois mystérieuses glanées ici ou là dans leur famille. Il serait catastrophique que le psychanalyste pense que « ces histoires » sont bâties à partir des désirs refoulés du patient et, en particulier, de ses fantasmes sadiques ! C’est en effet par leur caractère de « choses imaginées » que les différentes tentatives de symbolisation du patient dans son milieu d’origine ont été annulées par l’entourage qui n’en voulait rien savoir.
Si le psychanalyste ne valorise pas ce moment du travail de son patient en essayant d’en comprendre le caractère indispensable ou si, pire encore, il lui renvoie qu’il s’agit de ses « fantasmes » il y a tout lieu de craindre que la psychanalyse ne s’interrompe ou s’engage vers une idéalisation du processus analytique. De tels patients peuvent alors basculer brutalement d’une attitude oppositionnelle ou sceptique vers une adhésion sans réserve à la cause analytique. Leurs préoccupations relatives à la « filiation symbolique » prennent peu à peu la place de celles relatives à leur filiation réelle.
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