Diversification de la magie
A partir des temps primitifs, la magie se diversifie. Ainsi l’observation des conditions atmosphériques, du rythme des saisons, des périodes favorables à la chasse, la pêche, et plus tard aux cultures, apparaît comme une forme de divination à nos lointains ancêtres : tout le monde n’est pas capable de prédire le temps qu’il fera le lendemain, et certains voient avant les autres, à mille signes de la nature, que l’hiver s’annonce, ou bien le printemps. L’astrologie va naître de tout cela, présentée comme l’avenir du monde et des humains dévoilé grâce aux astres.
L’horizon des hommes peu à peu s’élargit. Ils cultivent, élèvent des animaux, maîtrisent des techniques, voyagent ; les clans s’agglutinent entre eux, forment des cités, des royaumes.
Mais les hommes n’ont pas encore les éléments nécessaires pour comprendre le monde et ses phénomènes d’une manière scientifique. Ils tentent pourtant de se rassurer, d’expliquer le présent, de connaître l’avenir. C’est pourquoi ils inventent de multiples techniques divinatoires, et aussi de multiples symboles, des puissances supérieures, des dieux, tout un monde complexe, exigeant, meublant leur horizon quotidien ; ils surveillent les présages, pratiquent tout un cérémonial pour leur plaire
Ainsi, les Grecs de l’Antiquité considèrent le fond de l’Océan comme un gouffre mystérieux où règne le dieu fou Poséidon (Neptune), où vivent de sages vieillards et les belles déesses néréides ; pour nous, le fond de l’océan est aujourd’hui surtout le domaine des sous-marins, des bathyscaphes et des modules polymétalliques…
Pourtant croyances et superstitions de l’Orient ancien, de Grèce et de Rome vont marquer les peuples d’une empreinte profonde, dont la trace n’est pas prête de s’effacer, car comme l’écrit le philosophe Bergson : « D’une croyance qui répondait à un besoin, on aura passé à une croyance nouvelle qui ressemble extérieurement à la précédente… mais qui ne sert plus à rien… L’expérience a beau dire “c’est faux”, et le raisonnement “c’est absurde”, l’humanité ne s’en cramponne que davantage à l’absurdité et à l’erreur.»
Le roi d’Égypte entouré de magiciens tout- puissants dit qu’il sait faire pleuvoir et aussi faire se lever le jour, en grande cérémonie, tous les matins à l’aube… Aucune civilisation sans doute n’est plus riche en superstitions que celle de Babylone où naît l’astrologie : « On prévoit le sort d’un roi rien qu’en observant les mouvements d’un chien »… Les mages perses se divisent en plusieurs classes, seuls ceux de la classe la plus élevée sont écoutés du roi… En Grèce enfin, des villes entières peuvent, certains jours considérés comme néfastes, arrêter toute activité.
Un auteur grec, Théophraste, écrit dans ses Caractères : « Le superstitieux ne sortira pas avant de s’être lavé les mains, aspergé le visage avec de l’eau de neuf sources, et mis dans la bouche un morceau tic feuille de laurier… Si un chat a traversé sa route, il ne la poursuivra que si un autre chat passe à proximité… Si une souris a grignoté un de ses sacs, il court chez le sorcier pour savoir ce qu’il doit faire… »
A Rome, les oracles sont légion. Bien des généraux, partant en campagne, emmènent avec eux une foule de devins, de sacrificateurs et d’augures, qui sont les spécialistes très écoutés des présages tirés à partir du comportement des oiseaux et des poulets sacrés. Le célèbre chef Hannibal se moque pourtant des augures, et conseille à un roi allié de consulter plutôt ses généraux pour savoir comment agir. A Rome même, devant le comportement de poulets sacrés qui semblent s’opposer à sa volonté, un tribun les fait jeter à la mer en s’exclamant : « Qu’ils aillent boire, s’ils ne veulent pas manger ! » Cependant, les superstitions sont le fait de la grande majorité de la société, riche et pauvre.
Chez ces derniers, l’aspect social prend une dimension particulière. Les superstitions représentent une espérance : si les esprits, les forces supérieures sont satisfaits, peut-être rendront-ils la vie un peu meilleure à ces esclaves grecs ou romains appelés « outils animés », sans biens, ni droits, frappés, torturés, vendus, à la merci de leurs maîtres, ou bien à ces ouvriers égyptiens travaillant dans les mines et que décrit ainsi l’historien Diodore de Sicile : « Ils ne doivent s’attendre à aucun ménagement pour les malades, les blessés, les travailleurs âgés, les femmes : tous sont contraints, avec des coups, à demeurer attachés à leur labeur jusqu’à ce qu’ils meurent d’épuisement. »
Déjà, croyances et superstitions présentent cette caractéristique conservée jusqu’à nos jours : être un des refuges des plus démunis, un refuge encouragé par l’idéologie des classes sociales dominantes, on comprend pourquoi.