Au commencement était la magie
Dans le domaine des superstitions, en effet, au commencement était la magie, ou plutôt, au commencement était l’ignorance.
Les hommes primitifs vivent dans un monde hostile, imprévisible pour eux. Ils en ignorent les lois naturelles les plus élémentaires et se contentent de les subir, réagissant de façon émotionnelle, violente, non raisonnée.
La foudre, la pluie, le murmure d’un ruisseau, la pousse rapide de la végétation, l’apparition d’un animal, la mort subite, autant de motifs pour s’étonner, avoir peur.
Le rêve en particulier les emplit de stupeur, le rêve dans lequel on peut retrouver des êtres disparus. Ainsi vient l’idée que chaque homme est double, qu’il possède à la fois un corps palpable, et quelque chose d’autre, qu’on appellera l’âme, l’esprit… Cet esprit doit se trouver aussi dans tout ce qui est incompréhensible, bouge, fait du bruit, les animaux, le vent dans les arbres, ces arbres « dont les branches sont des bras un peu plus lents », comme dit aujourd’hui le poète.
A ce moment apparaît la magie, désir des primitifs de savoir et de dominer. Et apparaît le magicien, celui qui dit savoir et promet la domination.
Naissance d’un magicien
On peut concevoir cette naissance de nombreuses façons. Prenons la plus classique, celle de la chasse.
Des animaux sont là ; il faut absolument les combattre : faim ou défense, qu’importe… Un homme préhistorique imagine de se couvrir d’une peau de bête afin d’approcher plus facilement sa proie. La ruse réussit.
L’idée s’impose que la peau de bête possède des pouvoirs particuliers, qu’elle donne à qui s’en revêt les qualités et la force de son ancien propriétaire… En y réfléchissant, peut-être suffit- il pour « posséder » cette bête, pour faciliter la chasse, de seulement représenter l’animal par un dessin sur la paroi de la grotte d’habitation ?
Face au dessin réalisé, on s’entraîne collectivement à le frapper de son arme, on crie, on s’excite, on se met en condition. Et si l’on peut porter sur soi une dent ou une griffe de l’espèce à combattre, cela n’en sera que mieux. Ainsi apparaît le « gri-gri », l’amulette, le porte- chance.
Mais tout de suite, la question se pose : l’homme qui a revêtu la peau de bête, ou qui a dessiné, ne possède-t-il pas lui-même ce pouvoir particulier attribué à la peau et au dessin ? Cet homme-là s’en persuade facilement et cherche à en persuader les autres. S’il réussit, le voilà devenu « magicien ».
Encore une fois, cette naissance peut s’imaginer autrement : l’observation des prémices d’un phénomène météorologique annoncé à tous avant que le phénomène ne se déclenche, l’arrivée d’un étranger dans un clan, possesseur d’un « secret », l’utilisation d’un objet, ou le pouvoir d’une herbe…
Plus tard, la naissance d’un magicien ne vient plus seulement d’une « révélation », mais aussi
Grâce à la « consécration » d’un autre magicien. Le choix s’effectue souvent d’après l’aspect physique marquant une différence : grande force, malformation quelconque ; également en fonction de la profession, plus ou moins mystérieuse : gardien isolé de troupeau (que fait-il, qui voit-il lorsqu’il est seul ?) ou forgeron (c’est le maître du feu)…
Ainsi voyons-nous les choses avec nos yeux du 20e siècle. Mais précisons tout de suite que pour nos lointains ancêtres il n’existe aucune différence entre les phénomènes réels et ceux qu’ils imaginent. Leur connaissance du monde environnant n’est pas assez affinée pour cela. Les dieux eux- mêmes ressemblent aux hommes.
Depuis, l’amalgame entre la réalité et la fiction dure toujours d’une certaine façon dans bien des esprits. L’évolution scientifique amène souvent, en contrepartie, des prétextes nouveaux de superstition. Une découverte peut faire naître de fausses croyances nouvelles, dont les effets risquent d’être importants. Ainsi, la conquête des Amériques par les Espagnols est grandement facilitée par l’existence de fusils, guère plus meurtriers à l’époque que les armes traditionnelles, mais paraissant des objets magiques aux yeux des Indiens.
On peut en rire, mais plus près de nous, par exemple, la découverte des ondes hertziennes, la construction des transistors ont servi de relance pour essayer de justifier la transmission de pensée à distance. Les scientifiques ont beau dire qu’il n’y a rien de commun entre l’existence réelle et contrôlée d’ondes électriques et un phénomène dû au hasard, là, la démonstration devient plus compliquée…